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Le patient, le web et le médecin

L’information se partage facilement, la connaissance nécessite un apprentissage

Première publication : lundi 17 décembre 2007,
par Dominique Dupagne - Visites : 15094

Le Web recèle une masse d’informations considérable, nouvelle, et déroutante pour la relation médecin-patient. Comment le patient peut-il intégrer ces informations dans sa stratégie personnelle de santé et de bien-être ? Quelle est la place du médecin dans la gestion de cette information ?

J’ai écrit récemment plusieurs articles sur la Médecine 2.0, cette évolution complexe de la gestion de la maladie aboutissant à un aplanissement des hiérarchies du savoir.

Mémoire Gilles Sournies

A cette occasion, un confrère gynécologue-obstétricien m’a fait parvenir un mémoire qu’il a rédigé récemment sur ce sujet :
L’information de l’usager de santé au regard de la loi du 4 mars 2002.

Gilles Sournies développe les problèmes posés par le transfert d’information du médecin vers le patient, transfert d’information qui n’est pas un transfert de connaissance si on analyse ses mécanismes avec attention. Son approche est tout à fait intéressante et en effet, l’information sur la santé est d’une telle complexité qu’elle ne peut souvent être utile "telle quelle". Son intégration dans une connaissance globale des mécanismes du corps humain et des maladies est nécessaire.

C’est effectivement vers les travaux des économistes spécialisés dans l’économie de la connaissance qu’il nous faut se tourner. GAY (19) affirme dans sa thèse qui fait autorité dans le domaine de l’économie de la connaissance :

(...)

« On trouve là les origines de la distinction, fondamentale contrairement à ce que peut laisser entendre l’approche standard, entre information et connaissance : par information, on entend des flux de messages tandis que la connaissance implique une activité cognitive de la part de l’agent qui consiste à sélectionner, traiter et interpréter les flux de messages pour en produire de nouveaux. C’est en considérant la relation de la connaissance et de l’information à l’action et donc à leur mode de production que l’on peut distinguer les deux. C’est à partir de ce moment-là que germe l’idée en économie que la connaissance est une capacité cognitive qui donne à ceux qui la possèdent des capacités intellectuelles ou d’action. L’information est considérée comme un ensemble de données qui reste passif et inerte et qui nécessite l’intervention de la connaissance pour l’interpréter et la mettre en œuvre. ».

Un des principaux effets de cette distinction est de souligner à quel point la connaissance est composée de matière tacite, implicite, ce que le scientifique M. Polanyi résume de la façon suivante « on en sait toujours plus que l’on est capable d’en dire ». Cet aspect tacite de la connaissance, qui repose sur les capacités cognitives de l’être humain (grâce au mécanisme de l’habitus, ou routine), la rend difficile à réduire à de l’information (à l’extrême limite codifiable sous la forme binaire). Il se manifeste par ce qu’on appelle notamment le savoir faire.

C’est une approche tout à fait fondée.

J’ai publié récemment un article sur les rapports entre internet et la médecine.
Je n’avais pas encore lu le mémoire de Sournies, mais j’ai écrit :

Le web est surtout une révolution pour les patients Ce sont nos patients qui ont le plus bénéficié de leur consultation du Web. Leur niveau de connaissance sur leur maladie a augmenté dans des proportions phénoménales. De quasiment ignares et dépendants de nous, ils sont devenus des spécialistes potentiels de leur affection, de son traitement et de sa prise en charge. Pour l’instant, ils ont une forte réticence à communiquer avec nous à ce sujet : malgré les dénégations des plus ouverts d’entre nous, les associations de patients confirment que l’accueil de praticiens face aux "trouvailles" de leur patients sur la toile est le plus souvent irrité ou glacial. Ce phénomène est néanmoins marginal et concerne surtout les patients atteints de maladies rares ou graves, et d’un niveau bac au minimum.

Cette situation est provisoire. Il nous faudra un jour argumenter nos stratégies face à des patients ayant accès non pas à de la littérature grand public (comme cela à toujours été le cas) mais à des recommandations professionnelles officielles, validées et en accès libre. La pauvreté des bases de données francophones libres d’accès est un des rares freins actuels à cette évolution, associé à la crainte pour le patient de s’opposer à notre savoir ou à notre position de soignant.
Faut-il développer ce débat d’arrière garde ? Nous aurons toujours face à notre patient l’acquis de notre culture médicale et de notre métier, culture qui permettra aux plus inquiets d’entre nous de ne pas se sentir dévalorisés face à ces patients-savants : une information scientifique ne peut être assimilée et comprise qu’avec une connaissance globale de la discipline. L’avenir est à un véritable partenariat, une alliance thérapeutique, facteur de soins de grande qualité. Néanmoins, il faudra repenser la nomenclature médicale car cette alliance thérapeutique allongera notablement la durée de la consultation.

J’y parle de "connaissance de leur maladie" là où je devrais parler d’informations. Mais le débat est plus complexe qu’il n’y paraît.

Source British Medical Journal
http://www.bmj.com/cgi/content/full/319/7212/761

Tout ce que le patient peut lire en terme de publications scientifiques et de vulgarisation relève en effet du transfert d’informations.

Mais ce transfert d’informations devient un phénomène minoritaire dans l’activité du patient chronique internaute. C’est désormais l’échange communautaire qui prime sur les forums notamment. Or cet échange apporte au patient une véritable connaissance de sa maladie et de son environnement. Cette connaissance n’est pas celle du médecin. C’est une connaissance différente, proche du vécu de la maladie. L’avenir, pour les maladies chroniques et invalidantes, est dans le croisement des informations et connaissances du patient avec celles du médecin.

Un bon exemple de de cette double connaissance est représenté par le médecin malade lui même. Néanmoins, pour prétendre à une vraie connaissance "côté patient" il lui faut faire partie d’un communauté de patients afin d’acquérir une vision globale du vécu de la maladie et de son coping.


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