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Trou de la sécu, franchises, où va-t-on ?
Première publication : jeudi 27 septembre 2007,
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Le mot faillite a été prononcé à propos de l’état français par le premier ministre. Notre protection sociale est elle aussi menacée, mais par quoi ? Par qui ?
Dans son numéro de septembre, le magazine Que Choisir met en valeur en couverture le problème du "trou" de la sécurité sociale.
L’article évoque sans détours la responsabilité de l’industrie pharmaceutique :
Comment les labos et les médecins creusent le trou... Pour contrer la concurrence que leur font les génériques, les labos sortent de nouveaux médicaments pas forcément plus efficaces mais plus chers. Quand les médecins les surprescrivent et que la Sécu les rembourse, on demande au patient de combler le déficit. Encore une fois, les Français vont devoir mettre la main à la poche pour combler le trou de la Sécurité sociale. Avec toujours la même ritournelle pour justifier cette ponction : il faut responsabiliser l’usager, qui reste un gros consommateur de soins en général, de médicaments en particulier. Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé, n’a eu de cesse de le répéter pour justifier sa réforme en 2004, celle qui devait ramener les comptes de la Sécu à l’équilibre d’ici à 2007... L’année s’achève et, avec un déficit record estimé à 12 milliards d’euros pour le régime général, dont plus de la moitié rien que pour la branche maladie, cette énième réforme de la Sécu est un échec. Pour le gouvernement et le Parlement, qui devront débattre dans les semaines à venir du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2008 (voir encadré ci-dessous), c’est presque mission impossible. À moins de sortir de cette logique qui veut que l’essentiel des efforts soit demandé aux usagers. Faire du patient l’éternel coupable en multipliant les franchises médicales, les déremboursements et autres pénalités ne réglera pas le déficit. Sans nier que l’usager puisse avoir une part de responsabilité... |
Et celle des médecins :
Médecins influençables L’étude de l’UFC-Que Choisir porte sur l’évolution, de 2002 à 2006, des dépenses consacrées à quatre classes thérapeutiques représentant plus de 2 milliards de prescriptions de ville. Première famille visée, les IPP (inhibiteurs de la pompe à protons), autrement dit les médicaments antiulcéreux. (...) (...) sachant que son brevet du Mopral allait tomber dans le domaine public, AstraZeneca a anticipé la venue des génériques en commercialisant un nouveau médicament, l’Inexium, ayant les mêmes indications(...) L’Inexium est issu de l’ésoméprazole qui n’est autre que l’isomère S de l’oméprazole déjà contenu dans le Mopral. Peu importe, le travail des visiteurs médicaux auprès des médecins a payé, ces derniers ont prescrit l’Inexium à tour de bras sans trop se poser de questions sur les arguments des labos. Et comme celui-ci est plus cher que les génériques du Mopral, sa percée sur le marché des antiulcéreux a sérieusement contribué à la hausse des dépenses de l’assurance maladie. Sur cinq ans, le surcoût est de plus de 300 millions d’euros, malgré la généralisation des génériques. |
L’industrie pharmaceutique fait des efforts importants pour protéger ses brevets et défendre ses marges. Il y a des réalités incontournables quand on est coté en bourse :
Ce dessin de Voutch résume à lui seul le dilemme du Leem...
Les actionnaires ne connaissent qu’une seule éthique : la hausse du cours de l’action. Un dirigeant qui envisagerait de diminuer les marges pour des raisons éthiques ne ferait pas long feu.
Mais le LEEM est-t-il vraiment le principal responsable de cette situation ? Quelle est sa marge de manœuvre dans un univers fortement concurrentiel ? Les principaux responsables ne seraient-ils pas ailleurs ?
Quand un match de football ou de rugby dérape, qui est responsable : Les joueurs ? La pelouse ? Les entraineurs ? Le public ?
Non, c’est l’arbitre qui a la difficile et importante mission de sanctionner les écarts de jeu ou de comportement. Faute de sanctions, ce sont les plus brutaux, les plus retors qui gagnent le match. Ceux qui refusent les coups bas sont pénalisés et disparaissent progressivement des podiums.
Un bon arbitrage n’empêche pas chacune des équipes de tout mettre en oeuvre pour gagner, dans le respect des règles du jeu, et la partie n’en est que plus riche et plus intéressante. Il en est de même pour le dopage : on ne peut exiger des sportifs qu’ils ne se dopent pas si l’on est incapable de sanctionner ceux qui le font. Cela crée de l’injustice et donne le sentiment aux sportifs honnêtes d’être les dindons de la farce.
En matière de dépenses de santé, les arbitres fautifs sont clairement identifiés :
Le ministère de la santé, la direction générale de la santé et les agences gouvernementales côté industriels et consommateurs.
Le conseil de l’ordre des médecins côté prescripteurs.
Mais qui les sanctionne, eux ?
Ces arbitres ne font pas leur travail.
Le ministère de la santé a laissé l’industrie pharmaceutique s’emparer de la formation des médecins. Pire, il lui ouvre grand la porte.
Pendant qu’il se perd dans les méandres d’une réforme de la sécurité sociale aussi complexe que non productive, il ferme les yeux sur les principales causes de non-qualité en médecine : la déformation de l’information du public et de celle des médecins par des lobbies divers (et pas uniquement pharmaceutique d’ailleurs).
Actuellement, l’immense majorité des actions de formation post-universitaires des médecins est financée par l’industrie pharmaceutique : soirées de formation, livres, revues, congrès. Les thèmes de (dé)formation sont souvent validés par les industriels et les experts sont rémunérés par ces mêmes industriels, qui prennent bien sûr en charge si nécessaire les frais d’avion, d’hôtel voire d’excursions récréatives des participants. Tout cela est parfaitement autorisé, balisé, déclaré, validé.
Après avoir mis sous tutelle la formation post-universitaire des médecins, l’industrie pénètre la formation initiale des étudiants : finançant les réunions pédagogiques à l’hôpital ainsi que les festivités de salle de garde, voire assurant certains cours elle-même ! Encore une fois tout cela se fait avec la bénédiction des autorités/arbitres qui pourraient facilement l’empêcher.
Sous la pression juridique d’une association de médecin et de patients, le gouvernement a publié à la hâte après 5 ans d’attente le décret d’application de la loi Kouchner sur la transparence de l’information médicale. Las, 6 mois après sa promulgation, ce décret n’est pas appliqué. Il prévoit que tout professionnel qui s’exprime en public à propos de médicaments doit déclarer prélablement ses conflits d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique.
les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises et établissements produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits sont tenus de les faire connaître au public lorsqu’ils s’expriment lors d’une manifestation publique ou dans la presse écrite ou audiovisuelle sur de tels produits. Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’Etat. Les manquements aux règles mentionnées à l’alinéa ci-dessus sont punis de sanctions prononcées par l’ordre professionnel compétent. » (article L. 4113-13 du Code de la santé publique) |
L’erreur a été de confier la mise en application de cette loi à l’autre grand arbitre défaillant : le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM).
L’ordre des médecins a fait preuve, au moins ces dernières années, d’une hauteur de vue incontestable dans de certains domaines touchant à l’éthique de la profession, notamment en ce qui concerne la bioéthique et les valeurs humaines en général. En revanche, il devient muet ou paralysé dès qu’il s’agit d’aborder les aspects financiers et notamment les liens entre l’industrie pharmaceutique et les médecins.
Rien ne bien étonnant à cela : le CNOM est élu par les médecins, il est difficile de lui demander de se tirer une balle dans le pied.
Il a organisé au printemps un grand colloque sur "l’éthique de l’information médicale".
Malgré ce titre évocateur, pas un mot sur le décret d’application concernant la transparence de l’information médicale, pas plus que dans l’article de 6 pages publié en juin dans le bulletin du CNOM sur ce sujet. Pas un mot non plus sur les aspects éthiques de la formation des médecins par d’éminents confrères doublant ou triplant leur salaire hospitalier auprès de laboratoires pharmaceutiques. Il y avait la "grande muette", il y a désormais un "grand muet".
En revanche, le CNOM s’est beaucoup intéressé à la simplification des procédures de contrôle des liens financiers entre médecins et laboratoires. Dans un document édifiant rédigé conjointement avec le LEEM et même le SNITEM il explique que le médecin n’a plus désormais à déclarer une invitation en australie par exemple pour un "symposium produit" c’est à dire une kermesse publicitaire pour un nouveau médicament. De même les abonnements à des revues scientifiques (plusieurs milliers d’euros) peuvent être offerts par des industriels sans même être déclarés (page 12).
_Plus générélement, le principe de l’impunité est simple : il suffit d’appeler la publicité "formation" ; la frontière étant devenue indiscernable dans les faits entre ces deux concepts pourtant bien distincts, tout est permis.
Enfin, pour être juste, il faut dire que le législateur a ajouté sa touche personnelle à cette légalisation de la corruption banalisée du corps médical : au bas de l’article L. 4113-13 du code de la santé publique, censé fixer les limites des cadeaux offerts par l’industrie aux médecins, il a ajouté une phrase qui en annule la portée "Les dispositions du présent article ne sauraient ni soumettre à convention les relations normales de travail ni interdire le financement des actions de formation médicale continue." Personne n’étant capable de définir une "relation normale de travail" ni une "action de formation médicale continue" elle ouvre la porte à toutes les dérives.
En pratique, les relations financières anormales, généralisées, banalisées entre l’industrie pharmaceutique et les médecins participent massivement à la surprescription médicamenteuse et à la iatrogénie qui l’accompagne, aux choix de médicaments chers et nouveaux à défaut d’être utiles, et in fine aux déficits publics.
Plutôt que de se lancer dans une énième réforme ou dans une pénalisation des patients, il faudrait d’urgence assainir cette situation digne d’une république bananière. Cela ne coûte rien, il suffit de le décider fermement en haut-lieu, là où gravitent malheureusement des industriels et des médecins particulièrement influents.