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Médecine : "Vous reprendrez bien un peu de technocratie ?"
Première publication : jeudi 19 juillet 2012,
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J’ai bien aimé ce billet de mon ami Christian Lehmann. Je le reproduis ici avec son accord. N’hésitez pas à réagir sous l’article, c’est l’avenir de notre système de santé qui est en train de se jouer.
Dominique Dupagne
La récente contribution thématique « Après 10 ans de droite, remettre de la Gauche dans les politiques de santé », rédigée par des sympathisants ou cadres du Parti Socialiste, est indigente.
Si elle pointe, ce qui est toujours utile, que la santé ne se résume pas aux soins, ou que la politique du médicament doit être repensée, elle prend soin de ne pas nommer les responsables politiques de la crise actuelle, et propose des « solutions » incohérentes qui montrent à quel point ses auteurs méconnaissent le rôle de la médecine générale.
Ainsi à de multiples reprises, les auteurs en appellent-ils aux Agences Régionales de Santé en tant qu’arbitres et impulseurs de politiques volontaristes, alors que les ARS, bras armé de l’Etat sarkozyste, ne représentent qu’un énième étage d’évaluateurs et de décideurs déconnectés du terrain imposant aux soignants un empilement de normes qualité. Le fait que nombre de socialistes aient, sous le règne sarkozyste, diligemment postulé et obtenu la direction de ces outils technocratiques n’est probablement pas étranger à cet aveuglement volontaire des signataires.
Les « solutions » proposées contre la désertification sanitaire sont un catalogue de promesses sans financement, couronnées par la menace de Schémas Régionaux d’Organisation des Soins Ambulatoires Opposables, sans qu’on saisisse très bien où veulent en venir les signataires : demain le préfet, selon son bon vouloir, décidera d’envoyer un médecin libéral s’installer ici ou là ? Cerise sur le gâteau, on apprend que les médecins déjà installés...« doivent aussi participer à ce formidable défi de la reconquête des territoires désertifiés. » Dans la vraie vie, les médecins et les infirmiers installés doivent déjà faire face aux soins à apporter à leurs patients, ( 56 heures par semaine en moyenne pour les généralistes), tandis que gonflent d’année en année les effectifs de médecins évaluateurs, conseils, contrôleurs, toujours prompts à expliquer à la piétaille des soignants comment mieux faire avec moins de moyens.
Rappeler en préambule que « notre pays bénéficie d’une des densités médicales les plus élevées du monde », sans pointer que la fuite des médecins hors de l’exercice de la médecine ambulatoire de ville est liée aux conditions d’exercice de plus en plus pénible en comparaison avec celle de médecins évaluateurs, c’est se moquer du monde...
Le grand couplet sur la prévention, source d’économies, serait moins ridicule si les signataires ne portaient pas aux nues les inutiles et dispendieux bilans de santé qui servent essentiellement à donner aux caisses d’assurance l’impression de faire de la médecine à la place des généralistes. L’idée de créer des services hospitaliers pour adolescents, comme si cette période de la vie était une maladie, est du même niveau. L’hospitalo-centrisme et le mépris de ce qu’est la médecine générale, la prise en charge sanitaire individualisée d’un patient, avec son consentement, sur le long terme, perlent à chaque ligne.
Pour conclure, on notera que si le reste-à-charge des patients est évoqué, la persistance des franchises sur les soins mises en place sous Sarkozy n’est nulle part mentionnée, afin de ne pas gêner l’équipe gouvernementale en place, qui a fait le choix de ne pas y revenir.
Plus grave encore est l’absence d’identification du dévoiement actuel de l’Assurance-Maladie. Son directoire issu des assurances privées se cache derrière le masque d’une sécurité sociale solidaire ; il cumule un management libéral contre-productif (chasse truquée aux arrêts de travail, falsification des chiffres, harcèlement des médecins généralistes), avec l’escroquerie intellectuelle généralisée et le gouffre financier que constituent ses programmes d’éducation thérapeutique aussi inutiles que mal évalués.
Le « payeur aveugle » des années 80-90 s’est transformé en donneur d’ordre incompétent (mise à mort de l’option référent, CAPI, rémunération à la Performance sur des items médicalement douteux). À cela, qui détruit chaque jour un peu plus le tissu sanitaire du pays, les signataires ne s’attaquent pas, ni le gouvernement, apparemment, d’ailleurs. Pour paraphraser la conclusion de cette contribution à l’eau tiède, « nous pensons que ce combat là SERAIT profondément socialiste ».
Christian Lehmann est médecin généraliste et écrivain, initiateur en 2007 de la lutte contre les franchises sur les soins.
Messages
19 juillet 2012, 11:06, par Xavier TARPIN
l’état des lieux est connu, les solutions aussi, qui permettraient d’avoir le même niveau de santé pour 40 milliards de moins (cf Suède et Danemark) : la filière de soins
de quoi à la fois combler "le trou" et créer la 5° branche dépendance
rien de nouveau sous le soleil, rien d’imprévisible, on peut le relire ici :
http://www.huffingtonpost.fr/jean-de-kervasdoue/sant-un-incurable-autisme-politique_b_1254793.html
comme tout doit finir par des chansons, un petit conseil à nos décideurs avant la prochaine réunion sur le sujet : lavez-vous les oreilles et le cerveau avec
http://www.youtube.com/watch?v=kqqxcXb4DOU
19 juillet 2012, 22:16, par docteurdu16
Je pense que jean de kervouasdé n’est pas exactement un économiste sans influences : ce qu’il a écrit sur la grippe était navrant.
Par ailleurs, il n’est pas possible de passer d’un système à la française à un système à la suédoise d’un coup de baguette magique : les systèmes anthropologiques ne changent pas en un clin d’oeil.
La gauche a un projet hospitalocentré (pour des raisons politiques, syndicales, corporatistes) et anti libéral. La droite a un projet spécialisto centré et anti étatique. Où sont les pivots du système de soin ? Les généralistes vont mourir de leur belle mort et, la nature ayant horreur du vide, les hôpitaux vont pouvoir offrir leurs soins "gratuits" avec urgences et filière de soins intra hospitalières sans garantie de qualité.
J’essaierai de répondre plus avant quand les auteurs du manifeste socialiste auront répondu à Christian Lehmann que j’approuve à presque cent pour cent.
20 juillet 2012, 09:52, par Xavier TARPIN
pour rappel, les suédois n’ont pas changé de système en un coup de baguette magique mais en 5 ans
et le cliché non-démontré du "c’est culturel" est fatiguant, outre qu’il justifie tous les immobilismes
la sécu est née d’un coup, sur une volonté, saut qualitatif et non quantitatif
sur de Kervasdoué, d’une part je ne vois pas en quoi le problème B interviendrait dans son analyse du problème A, et d’autre part sur la grippe
voir ici le fond de sa pensée sur le sujet
http://www.youtube.com/watch?v=glZNt9yGVqo
c’est résumé entre 1’30 et 2’
en quoi est-ce navrant ?
20 juillet 2012, 23:28, par docteurdu16
Les modèles sont faits pour se démodéliser comme les modes.
La mode des Suédoises est passée...
Je me méfie des solutions eschatologiques. IL est curieux qu’on ne cite plus le modèle anglais, sauf pour les honoraires de médecins, alors que les indicateurs basiques sont dans les choux...
Quant à faire fi des données anthropologiques, c’est du volontarisme.
Jean de Kervouasdé, économiste de la santé, a dit que la grippe faisait grosso modo 5000 morts par an sur France Culture après que les vrais chiffres étaient connus (environ 300).
Quand on se trompe autant sur un sujet, et pour des raisons évidentes d’incompétence et de conflits d’intérêts avec Big Pharma, il m’est permis de douter sur le reste. Il défend toujours le dépistage du cancer du sein : il ne doit pas savoir lire.
Ce n’est pas parce qu’il dit comme tu penses qu’il a forcément raison.
Au Danemark, sauf erreur, et malgré le système de la capitation, les Danois consultent quatre fois moins que les Français : le luthérianisme n’y est certainement pour rien et Max Weber a beaucoup parlé des sociétés protestantes...
Je ne crois pas à un complot mais, effectivement à un immobilisme, les élites de droite et de gauche sortant des mêmes écoles et ayant toutes voté la loi Révision Générale des Politiques Publiques.
C’est la France avec son complexe administrativo-politico-industriel.
Amitiés à toi.
26 juillet 2012, 11:22
les faits sont têtus : les meilleurs résultats qualité/prix (soit niveau de santé / % de PIB) sont obtenus par le Japon, la Suède, le Danemark
pour le Japon, il faut être japonais, pour la Suède (modèle préféré de de Kervasdoué) on a le problème des files d’attente, le système danois semble donc le plus performant
après on peut préférer payer beaucoup plus pour avoir moins bien (USA), payer un peu moins pour avoir beaucoup moins bien (Royaume-Uni) ou payer plus pour avoir le même niveau (France)
pour ce qui est du nombre de consultations par an et par habitant, pour 2008 (dernières données), les danois sont à 8,9 quand nous sommes à 6,9 (donc 4,3 de MG)
http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/2011_plfss_pqe_maladie_9.pdf
surtout ne changeons rien à une stratégie qui échoue depuis 40 ans, nous finirons bien par prendre le dessus sur le réel -)
ah, juste au passage :
Ondam fixé pour longtemps entre 2,5 et 3 % maximum
déjà cela signifie augmentation soit des déficits soit des prélèvements vu l’absence de croissance
d’autre part l’hôpital a besoin à périmètre égal de + 4 % par an : qui va se voir facturer la différence, hmmm ?
jusqu’ici tout va bien -)
26 juillet 2012, 16:33, par Docteurdu16
Avons-nous les moyens (intellectuels) de faire partie des trois pays au top en matière de santé ? Pourquoi la droite et la gauche partagent-elles les mêmes analyses ? Par ou commencer ?
Je suis sceptique sur la volonté de recentrer sur la médecine générale. Personne n’en veut.
Ou identifiés-tu les blocages ?
Qui en France voudrait que les choses changent ?
Je rappelle ici que la Suède a changé en une nuit la conduite la faisant passer de gauche à droite : pourrions-nous le faire ?
Si tu as des pistes pour faire changer les politiques, il serait temps.
Merci d’avance.
31 juillet 2012, 10:21, par Xavier TARPIN
ma lecture du problème (mais peut-être est-ce tout faux et farfelu) c’est qu’au fond :
le politique se fout de la santé
la santé, c’est le 1° budget de la nation, 234 milliards par an, l’éducation nationale, 2°, c’est 80 milliards ....
et avec ça en 60 ans de sécu
pas un politique de premier plan au ministère (ils prennent l’éducation, les finances ou l’intérieur)
des ministres à tiers de temps (font affaires sociales, travail voire sports avec), là où l’éducation a 2 ministres (car enseignement supérieur)
pourquoi ?
hôpitaux = 1° employeur local
+ direction pendant des décennies par les députés/sénateurs-maires
"trou" mis en avant mais en fait quasi inexistant
car avant la crise de 2008 son faible montant en % permettait de rembourser la dette créée (croissance + faible taux)
car malgré la crise la branche maladie c’est 11 milliards de trou pour 234 milliards soit 4,7 %, là où l’état fait 95 milliards de trou pour 295 milliards de budget soit 32 %
la dette sécu toutes branches tous régimes c’est 190 milliards au total, pour un budget de 454 milliards (435 à l’équilibre)
soit 44 % d’un budget à l’équilibre
la dette de l’état c’est 1 350 milliards pour un budget à l’équilibre de 200 milliards
soit 675 % d’un budget à l’équilibre
la vision d’un politique, c’est que c’est des clopinettes, qu’il y a des coups à prendre pour des résultats qui arriveront après les échéances électorales immédiates
et comme en face il y a les tenants de la pléthore hospitalière et des syndicalistes libéraux dont on peut mesurer l’efficacité ....
20 juillet 2012, 09:15, par Dominique Dupagne
J’ai assisté cet hiver à un colloque organisé par l’ARS d’Ile de France. Le débat portait sur les aspects numériques de la santé.
Les orateurs se sont succédés, représentant les diverses instances sanitaires et l’ARS. Tout ce petit monde encravaté m’a agréablement surpris par une vision assez moderne et lucide (tout étant relatif).
Mais ma plus grande surprise a été le discours du représentant du parti socialiste, détonnant par son jean et se baskets : il y a longtemps que je n’avais pas entendu un discours aussi réactionnaire sur le numérique et le 2.0.
L’habit ne fait pas le moine, la rose a des épines et l’enfer est pavé de bonnes intentions.
27 juillet 2012, 21:55, par tony
c’est pourquoi on demande aux MG d’être dans le vent en fournissant à la sécu la preuve-facture d’utilisation de l’addendum 2 bis de Sesame Vitale afin d’avoir une prime "qualité" à la fin de l’année. Tout ça me fait gerber. Tony lambert
20 juillet 2012, 17:16
Ceux qui ont des idées sur la pratique ne doivent pas être les praticiens.
Un peu comme si l’inconscient de ceux qui n’ont pas choisi de soigner ne voulait pas payer le prix de ce renoncement en transformant le choix du soin en obligation de soigner.
Cette ambiance coercitive est insupportable car dévalorisante bien sur mais aussi peu propice à permettre un partage du constat et l’élaboration d’un nouveau système .
Et ce d’autant plus que l’état technocratique est plutôt inefficace ,exemple :en recrutant des administratifs à l’hôpital plutôt que de former des soignants ...
En effet nous ne sommes pas considérés comme partenaires mais comme prestataires qu’il faut amener par la force à accepter la coercition à partir de principes scientistes de santé publique digne des totalitarismes les plus sordides:le dernier paradigme, la fin de l’Histoire .
Cette technocratie qui rechigne à réguler les marchés ,l’industrie ,les belles agences et autre zautorités de santé s’acharne sur les soignants en refusant toute critique prétendant même édicter ce que doit être notre développement professionnel sans nous demander notre avis,en prenant le "peuple du principe de précaution" à témoin ,démagogie totale et culpabilisante balayant d’un revers de main les qualités liées à la motivation ,l’engagement,la formation,l’écoute l’accompagnement ,la pédagogie et l’expérience simplement parce que la sécurité sociale est en déficit et que l’enjeu politique droite gauche est tel que la santé n’est qu’un objet pas un objectif.
Christian Lehmann est très clair montrant pourquoi malgré les efforts que nous faisons sur nous mêmes nous ne croyons plus tous ces discours sur la santé,discours "indigents"du fait du mépris dont jouissent les trente années de réflexion des généralistes à ce sujet .
Puisqu’il en est ainsi cette technocratie de gauche ou de droite doit être évaluée si elle ne veut pas être disqualifiée car totalitaire .....
Question : doit on totalement se taire ?
13 août 2012, 09:42
les Suédois ne sont pas les Français ni les Dannois,et leurs modes de soins de la santé n,est pas pillés, depuis mon plus jeune age j,ai toujours entendu que l,état pillait les caisses de la sécu pour boucer les trous qu,il était responsable,avant la sécurité sociale servait a soigner les gens ,maintenant on en sait plus rien elle sert a tout sauf a ce quelle devrait servir,les caisses de retraites idem sous Mitterand l,état a tellement tappe dans les caisses de retraites de la fonction publique pour ,renflouer les caisse du corp médical, notaire ,qu,elles se trouvent pratiquement a sec.