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Le CAPI : la conjuration des grenouilles
ancien titre : la conjuration des lemmings - article réécrit
Première publication : vendredi 19 novembre 2010,
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Le CAPI est un programme de l’assurance-maladie française destiné à valoriser l’activité des médecins généralistes dont les prescriptions sont en accord avec des indicateurs de qualité prédéfinis. Si les prescriptions du médecin rentrent "dans les clous", il reçoit une prime de quelques milliers d’euros en fin d’année.
Le CAPI est présenté officiellement ici et détaillé là.
Curieusement, cette page et la brochure téléchargeable ne permettent pas de savoir quelle est la signification précise de l’acronyme CAPI. Il faut chercher ailleurs pour trouver l’origine de ces 4 lettres : Contrat d’Amélioration des Pratiques Individuelles.
Nul besoin d’être psychanalyste pour comprendre que cet "oubli" est lié au mot qui fâche : "contrat". Chaque médecin signataire s’engage à suivre les recommandations de prescription associées à son engagement [1]. Heureusement, ce contrat est encore basé sur le volontariat.
De nombreux confrères, dont certains que j’estime, ont sauté à pieds-joints dans le piège tendu par l’assurance maladie. Il faut dire que la manœuvre était subtile : les premiers indicateurs qualitatifs retenus sont assez consensuels, destinés à appâter le confrère qui pense Puisque je le fais déjà, pourquoi ne pas accepter une prime ?
Ce qu’ils n’ont pas compris, c’est qu’il en est du CAPI 2010 comme des formations financées par l’industrie pharmaceutique et des actions sponsorisées en général : c’est toujours celui qui paye qui finit par mener la danse, et la dépendance au financeur finit par devenir totale. Nous en avons l’exemple avec les sociétés savantes et surtout la convention médicale, autre forme de contrat transformé de fait en obligation avec le temps. Au début, la contrainte associée au financement paraît très acceptable...
Ce CAPI est bien illustré par l’allégorie de la grenouille que l’on met dans une casserole : si l’eau est froide au début, elle y reste pendant que la température monte, s’y engourdit, et ne s’enfuit pas jusqu’à y cuire. Si on la plonge dans l’eau chaude, elle perçoit le danger et s’échappe immédiatement. [2].
La CNAM a proposé une eau fraîche aux capistes et ils ont plongé dans la casserole.
Les augmentations d’honoraires futures seront intégrées dans ce CAPI, et le médecin généraliste capiste va progressivement "penser CAPI" avant de prescrire. Même chez les plus honnêtes, l’objectif de maintien de sa prime va finir par interférer avec la recherche du meilleur traitement pour son patient. C’est humain. C’est inévitable. La relation médecin-malade sera modifiée. Elle est actuellement tournée vers le patient puisque le paiement à l’acte constitue aussi un conflit d’intérêt important au bénéfice de celui qui paye.
Plus de 15.000 médecins ont signé le CAPI. Compte-tenu de ce qui précède, c’est énorme. Cela fait penser à la signature massive de la convention médicale en 1970. Ce contrat a solvabilisé les patients et augmenté les revenus des médecins dans un premier temps, avant de créer un carcan qui étouffe désormais ceux qui n’ont pas accès au secteur à honoraires libres.
Je conseille à ceux qui ont su rester en dehors du CAPI d’afficher ce document dans leur salle d’attente, directement inspiré de l’actualité publicitaire (Crédit Mutuel) :
Post Scriptum : Les premières réactions à cet article ont été fortes et chargées d’émotions chez certains capistes. C’est normal : l’affiche et le texte du Crédit Mutuel que j’ai détournés pourraient laisser entendre que les signataires du CAPI soignent moins bien leurs patients.
Et pourtant, de nombreux médecins de qualité ont signé le CAPI la fleur au fusil, persuadés de s’engager dans une démarche qualité au service de leur profession.
Quelle naïveté.
Je maintiens que la signature du CAPI participe aux conflits d’intérêt qui anéantissent notre profession, au même titre que recevoir les visiteurs médicaux ou participer à des actions de formation financées par l’industrie pharmaceutique.
Oui les capistes sont sous influence !
Non, les capistes ne font pas encore de la mauvaise médecine, mais cela viendra quand le pourcentage de leur rémunération lié au CAPI deviendra significatif et que les objectifs comptables balaieront les objectifs médicaux et humanistes.
Ils ont ouvert la boîte de Pandore, et accessoirement entraîné les non-signataires dans la mort programmée de leur profession. Alors, non, l’image n’est pas exagérée, elle est peut-être un peu en avance. Il n’y a pas besoin de CAPI pour soigner correctement ses patients, et s’ils se sentent étranglés par la convention, qu’il se rappellent qu’elle ne constitue finalement que l’évolution du CAPI précédent, en moins contraignant.
J’ai changé l’article le 19 novembre pour remplacer la comparaison avec les lemmings par celle des grenouilles.
[1] Un ami bien informé m’a fait remarquer que le mot "amélioration" avait lui aussi été banni de la communication officielle, remplacé par "évolution". Il ne s’agit pas de laisser entendre que le CAPI permet de mieux travailler...