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Les Assises du Médicament, Acte II
Et Acte final pour ce qui me concerne
Première publication : samedi 12 mars 2011,
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Les Assises du médicament sont loin de fonctionner comme les Assises pénales. Un parallèle permet de poser des questions importantes sur l’intérêt de cette manifestation. Je cesse ma participation à ces réunions où l’on refuse d’emblée la transparence des débats, comme je l’ai exprimé sur France-Inter vendredi. Je ne vois pas ce qui justifie un huis-clos pour un débat sur la transparence de l’information.
J’ai participé dans ma vie à deux séances d’Assises . Des Assises pénales tout d’abord, en 2004, en tant que juré tiré au sort. Cette expérience forte et enrichissante a duré 8 jours et m’a permis de découvrir comment la république organise les débats pour fixer le destin d’un citoyen ayant commis un crime.
Ma deuxième expérience a commencé hier. Il s’agissait de la première séance de travail des Assises du Médicament. Plus précisément, il s’agissait de la séance du 4ème groupe (chambre ?) dédié à l’information sur les produits de santé.
Xavier Bertrand a choisi un mot lourd de sens avec “Assises”. Certes, il ne s’agit pas officiellement de faire le procès des crimes suspectés ou avérés commis autour du Médiator et de ses centaines de morts évitables. La justice pénale s’en occupe. Le programme est néanmoins très clair : analyser les causes qui ont conduit à ce drame afin d’éviter les futurs Médiator.
Pour revenir aux Assises pénales, modelées par une longue maturation au cours des siècles, elles se sont généralisées dans la majorité des pays démocratiques.
Ses fondements généraux sont les suivants :
Les jurés, tirés au sort parmi les citoyens, ne sont pas des personnes qualifiées et sont justement choisis pour leur absence présumée de liens d’intérêt avec l’affaire. En France, les magistrats, policiers et militaires ne peuvent être jurés.
Le débat est public, en dehors de la délibération des jurés. Sauf exception motivée, chacun peut assister au procès et, du fait de l’oralité des débats, disposer des mêmes informations que les jurés. La justice se montre ainsi transparente auprès du peuple qu’elle défend et des individus qu’elle condamne.
La décision est prise par les magistrats et les jurés (plus nombreux), après audition des parties, de leurs avocats, des témoins et des experts.
L’organisation des procès avec des jurés non qualifiés a été reproduite dans le monde de la santé avec les conférences de consensus, destinées à éclairer décisions de santé publique controversées.
Ce bref rappel pour faire un parallèle avec les Assises du Médicament
Tout d’abord sur la prise de décision. Le groupe de travail, piloté par un Président, un Vice-Président et un Rapporteur, comporte plus de 60 membres. Ces membres représentent, pour l’essentiel, les principaux groupes et lobbies impliqués dans l’information ou la désinformation sur le médicament. La méthode de choix de ces participants n’est pas explicite et de nouvelles têtes sont apparues depuis la sélection initiale, notamment du côté de l’industrie. Travailler sereinement dans ces conditions paraît difficile.
Sur la publicité des débats ensuite : ceux-ci ne sont pas publics. Malgré la demande expresse de la Revue Prescrire, les débats ne sont ni filmés ni enregistrés par les organisateurs. Pendant la séance, le Président a relevé que des participants filmaient les débats sans autorisation et leur a demandé de cesser. Le Vice-Président, Yannick-Louis Martin, a menacé de poursuites tous ceux qui utiliseraient publiquement le matériel capté.
On ne sait pas encore de quelle façon se fera l’écriture finale du rapport et de ses préconisations. Nous sommes loin de nos jurés tirés au sort et il y a fort à parier que l’exercice d’équilibriste final sera une foire d’empoigne où chacun des lobbies tentera de préserver ses intérêts. La présence à cette réunion d’une brochette de PDG de laboratoires pharmaceutiques, venus en personne, en dit long sur leur implication future dans les débats.
Philippe Foucras, Président du Formindep, a interrogé les organisateurs sur la méthode de validation des déclarations de liens d’intérêts. En effet, quelle est la valeur d’une déclaration dont l’inexactitude n’a aucune conséquence ? La réponse, très “20ème siècle” a été nous ne pratiquerons pas d’inquisition (sic) et nous faisons appel à la responsabilité de chacun. Dont acte, nous pouvons donc considérer que ces déclarations sont purement indicatives.
Ces assises, destinées d’après le Ministre à mettre en place une information indépendante, transparente sur les produits de santé auprès des professionnels de santé et du grand public démarrent donc dans une regrettable opacité.
Pourquoi faire une fixation sur l’enregistrement des débats ? Après tout, les procès ne sont pas filmés. Certes, les procès ne sont pas enregistrés, mais ils sont publics. Chacun peut assister, noter et répéter les propos tenus pendant l’audience. L’absence de film, de photo, est liée à la défense des intérêts de l’accusé, en position de fragilité, qui pourrait être mis en difficulté par un mot, une mimique ou une intonation. De plus, dans le cas de procès d’assises, l’anonymat des jurés est fondamental.
En pratique, l’interdiction de filmer n’a donc généralement qu’un but : empêcher qu’une personne fragile puisse être mise en difficulté par le contenu de ses déclarations. Pour éviter un montage manipulateur, il suffit de filmer officiellement l’intégralité de la séance, comme cela se passe dans les auditions parlementaires. À ma connaissance, aucun participant aux Assises du médicament n’est dans un état de fragilité nécessitant une protection
À mon sens, l’intérêt majeur de ces assises est de faire sortir la parole, la vraie, des acteurs et manipulateurs de l’information sanitaire. Ce verbatim est d’une grande richesse et éclairera autant le public qu’un rapport forcément réducteur, même enrichi des déclarations écrites des participants.
Les auditions qui ont débuté au Sénat en apportent régulièrement la confirmation.
Tout d’abord avec cette déclaration de Gérard Kouchner, Directeur du Quotidien du Médecin. Le Président de la mission d’information, le Sénateur Autain, l’interroge sur la raison du silence de sa publication sur le livre d’Irène Frachon. Le quotidien avait en revanche publié un communiqué de Servier critiquant le livre.
Sa réponse est édifiante et en dit long sur la considération de sa publication pour les lanceurs d’alerte :
Un autre exemple, toujours au Sénat, mais dans l’affaire de la vaccination contre la grippe. On y entend un expert déclarer aux sénateurs à deux reprises que la grippe tue un enfant sur cinq. Cette bourde a été très éclairante sur les errances de la campagne de vaccination antigrippale 2009/2010. Elle n’a pas été reprise dans le compte-rendu écrit (par galanterie ?) et cette affaire montre, là aussi, l’importance de la vidéo, forme de compte-rendu moderne à la fois fidèle, d’une grande richesse sémantique, et peu coûteux.
Le Pr Weil-Olivier, la grippe A/H1N1 et le Sénat
envoyé par dailyglub. - L’info video en direct.
On ne peut pas faire du bon travail à 60 en 6 séances de travail sur un programme aussi vaste. Seule la parole exprimée a vraiment de l’importance.
Pendant cette premilère réunion (groupe 4), nous avons eu quelques perles : un patron de la presse professionnelle parlant de “cibles” au lieu de lecteurs. Le Rapporteur parlant d’inquisition à propos du contrôle des déclarations d’intérêt. Le représentant des laboratoires GSK stigmatisant la désinformation sur la grippe, alors que le site du laboratoire contenait des énormités sur la mortalité de la grippe de Hong Kong [1].
Faute d’enregistrement, la porte est donc ouverte aux “petits arrangements entre amis”, au cynisme qui ne laissera aucune trace. Face à un tel panier de crabes, la vidéo associée à l’oralité des débats constituait LE moyen pour permettre la transparence voulue par le Ministre.
Je revenais à la charge dans la première version de cet article, comme je l’ai fait en réunion, car je sentais le Président Ceretti partagé sur ce sujet, comme il l’a d’ailleurs exprimé. Mais le Rapporteur Général Edouard Couty a confirmé à @rrêt sur images qu’il n’y aurait définitivement pas d’enregistrement.
Refuser la vidéo, c’est condamner le travail réalisé car il perd l’essentiel de sa valeur. Faut-il rappeler qu’un camescope ne coûte quasiment rien et que Youtube ou Dailymotion sont gratuits ? Qui a intérêt à mettre un rideau devant la parole émise pendant les débats sur la transparence de l’information ?
Ajout du 12/3
J’ai annoncé sur France Inter que j’arrêtais ma participation aux Assises. Accessoirement, une réunion à 60 n’est plus un groupe de travail, mais une négociation multipartite. Or, contrairement à d’autres participants, je n’ai rien à négocier, et je n’ai pas de lobby qui finance ma présence dans ce qui apparaît de plus en plus comme une opération de communication, un rideau de fumée pour masquer la responsabilité des politiques actuels dans la crise du Médiator. Le FORMINDEP a pris la même décision.
Docteur Dominique Dupagne par franceinter
Ajout du 16/3
J’ai reçu un mail ce jour m’annonçant que les séances seront désormais intégralement filmées. C’est bien, mais c’est trop tard pour moi. Le fait que cette annonce survienne après celle du départ de mes amis du Formindep laisse penser que c’est à contrecœur, la main forcée, que cette décision a été prise. Mon retour dans l’arène ne pourrait désormais plus se faire dans la sérénité. Par ailleurs, il reste un autre argument non réglé : on ne peut pas faire du bon travail à 60...
[1] Pendant une grande partie de la campagne de vaccination contre la grippe, le site du laboratoire GSK, fabricant de vaccins, affirmait que la grippe de Hong Kong avait fait deux millions de mort en France en 1968. Il s’agissait en fait du nombre de malades, les morts étant de l’ordre du millier. Idem pour les USA.