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"La médecine a fait tellement de progrès que plus personne n’est en bonne santé !" *


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Rendez-nous nos conférences de consensus !

Première publication : lundi 9 août 2010,
par Dominique Dupagne - Visites : 12224

Les conférences de consensus sont des réunions de réflexion collective qui aident à éclairer les sujets controversés. Lorsqu’il n’existe aucun travail scientifique indiscutable permettant de trancher une question polémique, les experts des différentes parties s’affrontent habituellement dans la littérature scientifique ou dans les médias et il devient très difficile d’y voir clair pour qui tente de se faire une opinion. Si des intérêts économiques sont en jeu, les conflits d’intérêt des experts obscurcissent la réflexion, comme on l’a vu récemment à l’occasion de la vaccination contre la grippe A. Dans cet article, je reviens sur un document de 1991 qui mérite d’être relu à la lumière de l’évolution récente de l’expertise médicale française.

La méthode de travail appelée "conférence de consensus" [1], inspirée du fonctionnement des procès américains, est un outil qui a été mis en oeuvre pour la première fois dans les années 80 aux USA principalement. Il s’agit de réunir pendant un temps limité (en général 3 jours) un jury pluridisciplinaire qui va tenter de se faire une opinion sur un sujet controversé.

Comme dans un procès, les experts et tenants des différentes parties seront auditionnés et questionnés par le jury. Mais contrairement aux consensus d’experts émanant exclusivement de réunions d’experts ou de sociétés savantes, c’est bien un jury présumé neutre qui élaborera un avis final, rédigé à huis-clos. Il est important que ce jury comporte des personnalités variées et non spécialistes du sujet, notamment des philosophes et des sociologues. Dans le cas contraire, les débats ne feront que reproduire la guerre d’experts, stérile, qui a justifié l’organisation de la conférence de consensus.

En matière pénale, le destin d’un homme se joue d’ailleurs sur ce modèle, liée à la décision de citoyens tirés au sort et initialement naïfs vis-à-vis de l’affaire en cause. Personne ne semble avoir trouvé de meilleur système pour l’instant.

La France s’est intéressée aux conférences de consensus dès la fin des années 80, notamment dans le domaine de la santé. Une des premières conférences de consensus a été organisée par la Fondation de l’Avenir, émanation de la Mutualité Française. Elle portait sur le sujet déjà controversé de la prévention de l’ostéoporose par le traitement hormonal de la ménopause.

Cette conférence est exemplaire à plus d’un titre :
- Elle portait sur un problème de santé publique difficile : la médicalisation de la ménopause, simple “état” pour les uns, “maladie” à traiter pour les autres.
- Elle déchirait, et déchire toujours les experts de différentes disciplines médicales.
- Elle concernait la totalité des femmes de plus de 50 ans et impactait donc des intérêts financiers considérables.

Nous disposons du travail réalisé par Dominique Broclain, médecin et sociologue, qui a suivi et analysé cette conférence jour après jour. Il a rédigé une synthèse des problématiques posées par son fonctionnement et ses conclusions. Ce travail déjà ancien a été publié [2]

Je vous conseille vivement la lecture de cet article passionnant, qui montre comment plusieurs sociétés savantes ont réussi à manipuler, une fois la conférence de consensus terminée, le libellé de plusieurs recommandations clés.

Alors que les conclusions du jury étaient étonnamment modernes pour l’époque, certains experts, notamment gynécologues et radiologues, n’ont pas supportés la mise en cause du rapport bénéfices/risques du traitement hormonal substitutif de la ménopause. Ils ont également contesté l’opposition du jury au dépistage généralisé de l’ostéoporose par densitométrie osseuse. Le jury de la conférence insistait dans ses conclusions sur la maigreur des preuves tant de l’efficacité que de l’innocuité des estrogènes à long terme. Je rappelle que nous sommes en 1991, soit 13 ans avant la publication du rapport de la MiRe-DREES, : Au bénéfice du doute, les “notables de la ménopause” face aux risques du traitement hormonal substitutif. Ce remarquable travail d’investigation et de synthèse a démontré à quel point l’information avait été manipulée par un petit groupe de leaders d’opinion. La conférence de consensus de 1991 est évoquée page 38 et suivantes, tandis que la manipulation consciente ou inconsciente est étudiée à partir de la page 67. Entre l’analyse de D Broclain et le rapport de C Salles et P Urfalino, nous disposons d’un matériel exceptionnel pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette conférence.

Certains experts gynécoloques et rhumatologues sont parvenus, après la rédaction du rapport final de la conférence, à en faire modifier les conclusions dans la plaquette diffusée par l’ANDEM, comme vous pourrez le lire dans l’article de Dominique Broclain. Il est saisissant de voir avec le recul que le texte issu du débat du jury traduisait parfaitement les connaissances scientifiques de l’époque et a été confirmé par les travaux ultérieurs. Au contraire, le texte “aseptisé” par les corrections des experts a été contredit par les études publiées dans les années 2000. C’est pourtant ce dernier texte qui a été diffusé par l’ANDEM.

Cette levée de boucliers des experts contre les conférences de consensus semble avoir conduit les autorités sanitaires à privilégier les Recommandations pour la Pratique Clinique décrites conjointement dans la réflexion initiale de l’ANAES.

Un choix dommageable pour la santé publique

Les conflits d’intérêt sont omniprésents et ont miné la confiance, à la fois du public et des professionnels de santé avertis, dans l’autorité scientifique médicale. Deux recommandations de la Haute Autorité de Santé sont l’objet actuellement de recours en Conseil d’Etat à l’initiative du Formindep.

Pire, des réunions d’experts s’auto intitulent abusivement "conférence de consensus" alors qu’elles n’en sont pas. Dans cet exemple, une conférence est organisée exclusivement entre experts et financée par des laboratoires pharmaceutiques dont les intérêts sont étroitement liés aux décisions de la conférence.

Ailleurs, une autorité administrative donne une définition fausse de la conférence de consensus tout en faisant référence au document de l’ANAES (déjà cité) qui la décrivait pourtant avec précision.

En pratique, il semble urgent de revenir aux vraies conférences de consensus, aussi dérangeantes soient-elles pour les experts. Elles ont fait leurs preuves et s’inscrivent à la fois dans la démocratie sanitaire instituée par la loi de 2002 dite “Kouchner” et dans la médecine 2.0 qui introduit une subjectivité partagée, finalement plus difficile à manipuler et plus crédible que la pseudo-objectivité de certains experts.

Les Conférences de Consensus peuvent constituer le contre-pouvoir légitime du citoyen-patient face à une expertise médicale trop proche des intérêts industriels, et compléter la place qu’a prise la blogosphère dans ce domaine, au grand dam d’autorités sanitaires en quête de crédibilité en réaction à une certaine forme de désinformation institutionnelle.

Cet article publié dans une version provisoire le 15 juillet a été mis à jour et publié définitivement le 9 août 2010.


[1Une excellente synthèse sur les conférences de consensus a été publiée en 1993 par la revue Prescrire. Malheureusement, un stupide verrouillage du copier/coller dans le pdf rend pénibles les citations d’extraits pourtant intéressants. D. Broclain - LRP tome 13 n°129 p269-274.

[2Broclain, D. Comment s’élabore un consensus ? Oestrogènes et risques fracturaires, le cas de la conférence française sur la médicalisation de la ménopause. Santé Publique, 1994, pp. 193-211

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