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La prostate chez les Grosses Têtes... au Carré

Éléments scientifiques sur le dépistage du cancer de la prostate

Première publication : dimanche 22 mai 2011,
par Dominique Dupagne - Visites : 19361

Mathieu Vidard m’a invité à sa revue de presse du vendredi sur France-Inter : Les Grosses Têtes au Carré. J’aime bien cette émission qui permet de prendre un peu de temps pour débattre de sujets scientifiques dans de bonnes conditions et j’ai accepté avec plaisir. Ce billet n’est pas vraiment un article, c’est un recueil d’éléments pour étayer mes affirmations à l’occasion de ce baptême ;-)

L’émission du 20 mai 2011 était donc consacrée à l’actualité scientifique, avec Marie-Odile Monchicourt et Dominique Wolton. L’émission complète est accessible en archive ici jusqu’au 20 juin.

Voici l’extrait qui concerne le sujet que j’avais proposé : le dépistage des cancers et plus spécifiquement celui de la prostate.

Les journalistes et les auditeurs sont toujours surpris quand on leur explique clairement les choses. Comme le note Dominique Wolton, c’est un sujet où la communication est omniprésente. À force d’entendre exclusivement les urologues sur ce sujet, la réalité scientifique paraît presque exotique...

J’ai donc réuni ci-dessous les principaux éléments factuels cités pendant l’émission pour que chacun puisse vérifier mes dires.

"Les dépistage du cancer de la prostate n’est pas recommandé par les autorités sanitaires"

Aucun pays au monde n’a mis en place de dépistage organisé.

La position de la Haute Autorité de Santé française est ici.

L’Institut National du Cancer ne recommande pas ce dépistage.

L’Organisation Mondiale de la Santé non plus, et elle développe la même argumentation sur les dangers de certains dépistages.

La Revue Prescrire, un des rares supports médicaux scientifiques totalement indépendants a écrit en 2009 :

En pratique, mieux vaut informer sans parti pris les patients qui envisagent un dépistage du cancer prostatique : absence de preuve suffisante d’un avantage clinique au regard des risques avérés, notamment liés aux diagnostics inutiles. En mai 2009, un dépistage systématique du cancer de la prostate, par dosage du PSA ou toucher rectal, n’est pas justifié.

Le Collège de Médecine Générale, qui fédère les sociétés savantes de la spécialité, est tout aussi réservé dans un communiqué de février 2011.

Enfin, le Formindep, organisme scientifique indépendant qui a fait parler de lui récemment, est on ne peut plus clair :

En proposant ce dépistage l’Association Française d’Urologie prend le risque d’inquiéter inutilement les patients, de culpabiliser inutilement les médecins généralistes, de provoquer inutilement chez nombre de patients des examens médicaux et des traitements médicamenteux, radiothérapiques et chirurgicaux aux conséquences parfois invalidantes, voire de gêner l’accès à ces traitements de patients qui en auraient réellement besoin."

Face à ces institutions ou organismes solides et reconnus, les arguments des urologues paraissent insuffisants

"Le dépistage du cancer du poumon par radiographie est dangereux"

Une synthèse des travaux disponibles (en anglais) n’est pas très encourageante. Dans une des principales études (Kayser-Permanente), le taux de mortalité par cancer du poumon est de 8 pour 1000 dans le groupe dépistage, versus 7 pour 1000 dans le groupe témoin.
Le schéma récapitulatif montre à droite de la ligne verticale les études défavorables au dépistage par radiographie des poumons, et à gauche les études favorables. Des études sont en cours pour évaluer l’intérêt du scanner.

Il faut de plus tenir compte du fait que ces chiffres ne tiennent pas compte des décès liés au dépistage (opérations inutiles, stimulation d’autres maladies) et non au cancer du poumon.

Notez que cette absence d’intérêt du dépistage par radiographie des poumons est valable aussi bien chez les fumeurs que chez les non-fumeurs.

"La moitié des hommes de plus de 50 ans ont des cellules cancéreuses dans leur prostate"

Une source donne 32% pour les hommes de 50 à 60 ans ). Bernard Debré, dans son étude parlementaire, parle de 60% des hommes atteignant 60 ans. Ces données varient beaucoup selon que l’on tient compte de nodules cancéreux ou de simples regroupements de cellules cancéreuses.

Bien sûr, la majorité de ces cellules ne feront jamais parler d’elles car seuls 3% des hommes mourront d’un cancer de la prostate, le plus souvent après 80 ans.

"Un petit amas de cellules cancereuses peut disparaître tout seul"

Cette donnée est peu connue. Elle a été bien étudiée pour le cancer du col de l’utérus car ce cancer initialement superficiel est facile à surveiller.

À la page 14 de ce rapport officiel, vous pouvez lire que le CIN3 (cancer encore superficiel) évolue vers un cancer invasif dans 12 % des cas, régresse dans 32 % des cas, et ne bouge pas dans 56% des cas. Grosso modo, sur le long terme, la moitié disparaissent et la moité dégénèrent en vrai cancer invasif.

"Depuis que l’on dépiste le cancer de la prostate, le nombre de diagnostics a triplé, mais la mortalité est inchangée"

Article de la revue Progrès en Urologie.

Les courbes sont standardisées pour l’âge.

Notez que puisque de plus en plus d’hommes "perdent" leur prostate jeunes du fait du dépistage, le nombre de décès devrait tout de même finir par baisser. Moins de prostates disponibles : moins de futurs cancers...

"La moitié des cancers diagnostiqués par dépistage ne sont pas de vrais cancers"

Cette affirmation est plus difficile à documenter.

Le fait que les diagnostics aient triplé à âge constant depuis le dépistage, sans impact sur la mortalité, abonde dans ce sens, mais ce n’est pas une preuve formelle.

L’étude suédoise récente qui a conclu une fois de plus à l’absence d’intérêt du dépistage nous donne plus d’arguments. L’analyse des données de l’article montre que la mortalité par cancer de la prostate est supérieure dans le groupe incité au dépistage. Mais surtout, après 20 ans de suivi, on a la surprise de constater que le taux de cancer est de 5,7% dans le groupe dépistage, et de 3,9% dans le groupe sans dépistage. Il y a donc près de 50 % de cancers en plus dans le groupe incité à un dépistage régulier.

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