Internet et la formation médicale continue
L'apparition puis la généralisation de l'accès à Internet sur le
poste du médecin, ainsi qu'a son domicile, ont fait naître de
nouveaux rêves en matière de formation médicale continue.
Et pourtant, la formation médicale continue n'aura jamais lieu
sur Internet… En tout cas pas sous la forme sous laquelle on
l'entend généralement.
Le médecin est un être social
L'espèce humaine est une espèce sociale. L'homme est habitué à
fonctionner en groupe, avec ses rites et sa hiérarchie. Pendant ses
longues études, le médecin a appris à travailler au sein d'une
équipe hospitalière.
Lors de son installation libérale, il se trouve brutalement livré
à lui-même, dans un exercice solitaire qui n'est pas dans sa
nature. Tel le chauffeur de taxi, il est seul face à sa clientèle,
dans une succession de relations singulières d'une richesse
variable, qui créent un manque que l'exercice en cabinet de groupe
n'atténue que partiellement.
Ce besoin de rencontrer ses semblables a été parfaitement
compris par l'industrie pharmaceutique qui en finançant congrès,
colloques et dîners, permet ces contacts et échanges
confraternels.
La profession s'est également organisée pour sa propre
formation, avec ou sans l'aide de l'industrie, inventant le concept
de FMC.
Ces actions de formation répondent à ce besoin social du
praticien, et il est permis de penser que dans de nombreux cas,
l'objectif pédagogique n'est pas au premier plan : en effet, le
contenu de la presse médicale est suffisant pour permettre au
médecin d'actualiser ses connaissances.
Lorsque ces formations sont de qualité, notamment lorsqu'elles
sont organisées et financées par les praticiens eux-mêmes, la
jonction de l'utile et de l'agréable confère à la séance de FMC
un attrait indéniable qui compense l'effort consenti en sus de la
charge de travail déjà bien lourde.
Il est à mon sens illusoire de penser que le praticien libéral
soit prêt à abandonner cette convivialité pour retrouver sa
solitude face à l'écran de son ordinateur.
Cette constatation ne s'applique bien sûr qu'à la formation
post-universitaire. L'étudiant a pour mission d'apprendre et tous
les outils facilitant cet apprentissage peuvent lui être utile.
La formation continue est en fait discontinue
Le terme de formation médicale continue est consacré par l'usage,
il est pourtant bien mal adapté. Cette formation est en effet
fondamentalement discontinue.
Les besoins de formation identifiés pendant l'exercice quotidien ne
reçoivent pas de réponse immédiate. Ils servent à isoler des
objectifs pédagogiques prioritaires qui seront l'objet d'une
séance de FMC future.
Les données acquises ne pourront être utilisées
qu'ultérieurement, lorsque la situation se représentera, et à
condition que le médecin ait correctement assimilé et surtout
mémorisé ces données.
Ce système, hérité de l'enseignement traditionnel, est en fait
bien peu performant. Il restait la référence depuis toujours,
faute de mieux.
Le just-in-time
Le concept du " Juste à temps " a été inventé par
l'industrie automobile japonaise dans les années 50. http://www.home.ch/~spaw1407/econom/gestion/jit/juste.htm
Il consiste à fabriquer ou à fournir à la chaîne de
production les éléments nécessaires au moment de leur
utilisation. Ni avant, ni après.
Ce concept, qui permet une gestion optimisée des stocks et de
l'espace, peut être audacieusement transposé à la formation
médicale continue :
Le médecin devrait pouvoir disposer de l'information ou de la
formation nécessaire exactement quand il en a besoin :
- Juste avant de voir un patient posant une problématique mal
connue et prévisible,
- Au moment de la révélation de la problématique, c'est à dire
pendant la consultation (pur just-in-time).
- Au plus tard immédiatement après, pour un ancrage puissant de
l'information apportée alors que la problématique est encore
" fraîche " dans son esprit.
Comme pour l'industrie automobile, le just-in-time en matière de
formation suppose une révolution intellectuelle et une rupture avec
les méthodes traditionnelles. Internet est l'un des outils qui
pourra permettre cette révolution.
Il faut noter au passage que le téléphone, couplé avec une
équipe de spécialistes disponibles et dédiés à l'information de
leurs confrères, aurait permis depuis longtemps de combler ce
besoin, pour un coût conséquent mais très raisonnable en regard
des économies attendues pour le système de santé ou comparé à
d'autres actions visant l'amélioration des soins.
Il existe des projets permettant d'atteindre un objectif
just-in-time, notamment en matière de prescription. Ces projets
sont toujours en attente de financement. (Therinfo JP Boissel)
http://www.docforum.com/prog/prog_sante.htm
Des expériences intéressantes
Pour rester dans le cadre de la FMC traditionnelle, il n'a pas été
nécessaire d'attendre Internet pour que des expériences de
formation assistée par ordinateur voient le jour. L'UNAFORMEC a
expérimenté très tôt des disquettes d'autoformation.
La forme la plus aboutie de ces formations a été représentée par
la collection de CD Médecine-interactive : des cas cliniques
complets permettant d'utiliser toutes les ressources de
l'informatique ont été mis à disposition du praticien. Ces cas
cliniques comportaient des enregistrements vidéo de patients, la
possibilité de stratégies multiples, la quantification financière
permanente de ces stratégies, une approche personnalisée et
contextuelle des besoins de formation et un aspect ludique
indéniable.
Malgré la qualité de ces produits, la mayonnaise n'a pas pris.
Pourquoi ? Tout simplement parce que l'on ne joue pas sur son
ordinateur lorsque le jeu est centré sur l'exercice quotidien (le
jeu est destiné à s'évader du quotidien) et parce que ces
programmes n'intégraient pas la dimension sociale du praticien, qui
cherche le groupe et non la solitude.
Le défunt Médisite avait tenté de reproduire ce système, avec
des cas cliniques à forte interactivité. L'utilisation d'Internet
n'a pas apporté non plus le succès à cette voie d'allure
faussement prometteuse.
Un site fournit actuellement un outils d'autoformation en
dermatologie aussi simple qu'intéressant http://dermatologie.free.fr/
mais là encore, un CD-ROM pourrait aussi bien convenir.
Le complément de la séance de FMC traditionnelle
Demandeur de contacts humains, le praticien n'est donc pas prêt
d'abandonner la FMC traditionnelle, malgré son coût et ses
imperfections.
Internet peut en revanche constituer un outil complémentaire
fondamental pour ces séances ancrées dans le réel :
- Mise à disposition du calendrier des réunions, inscription en
ligne.
- Recueil des objectifs pédagogiques.
- Résumé de formation.
- Rappel des idées fortes de la formation suivie.
- Moteur de recherche permettant de retrouver facilement
l'information entendue et comprise, mais oubliée.
Une autre voie peut être le mixage de la séance réelle et
d'Internet, avec des séances de formation de type " multiplex
" créant une émulation intergroupes, éparpillés
géographiquement. La convivialité est représentée par le groupe,
géré par un animateur. Un collège d'experts non présents
physiquement au sein de chaque groupe peut ainsi être mis à
disposition du plus grand nombre. Ces séances sont néanmoins très
lourdes sur le plan logistique.
Le déficit en sources d'information francophones
Le vrai futur de la FMC se trouve dans le just-in-time, que seul
Internet peut apporter. Certes, un simple DVD-ROM peut contenir
facilement toute la connaissance médicale, mais les mises à jour
seraient onéreuses et lourdes.
Le médecin doit disposer de référentiels et de bases de
connaissance en ligne, dans sa langue, facilement accessibles par un
moteur de recherche " intelligent ". Cette base de
connaissance devrait lui permettre d'obtenir en quelques secondes
des réponses pertinentes, brèves et directement utilisables à des
questions comme :
- " exploration thyroïdites "
- " bilan diagnostic lupus "
- " traitement gale "
- " traitement prostatite récidivante "
- " imagerie algodystrophie genou "
- " prise en charge encoprésie "
- " formulaire cure thermale "
- " images syphilis "
Ces réponses brèves étant liées à des réponses plus
argumentées, pour l'approfondissement hors consultation, ces
réponses plus argumentées étant elles-même liées à une
bibliographie disponible en texte complet.
Il est réellement dommage que les outils disponibles
actuellement se limitent au site de l'ANAES, dépourvu de moteur de
recherche et assez peu fourni, à quelques sites de sociétés
savantes, ou à des initiatives universitaires ou individuelles.
Les référentiels de l'Agence ne sont d'ailleurs pas conçus pour
être exploités " on-time " mais plutôt comme base de
connaissance pour un approfondissement hors consultation.
Perspectives d'avenir
Les fonds nécessaires à la constitution (ou à la traduction à
partir de l'anglais) d'une base de connaissance orientée
just-in-time sont minimes par rapport aux budgets consacrés à la
santé publique ou à l'information médicale en général
(professionnel et publics). Il est possible et je pense probable que
les économies générées sur les dépenses de santé seront
supérieures aux coûts de constitution et de maintenance de cette
base de connaissance.
Le réseau Internet est l'outil idéal pour mettre ces données à
disposition de tous, au moment précis ou chacun en ressent le
besoin.
|