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Madame la Ministre, ils sont devenus fous !
Lettre ouverte à Marisol Touraine concernant ses agences sanitaires
Première publication : jeudi 7 février 2013,
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Ce billet-pétition demandait une réaction de la Ministre face à une erreur importante commise par les agences sanitaires françaises dans un communiqué de presse. Cette erreur a été réparée, au moins partiellement, et un épilogue a été ajouté en bas de ce billet, 48h après sa publication initiale.
Ce jour, le 7 février 2013, mon ami Christian Lehmann m’a appelé au téléphone : notre confrère Jean-Daniel Flaysakier venait de poster sur Twitter un lien vers un communiqué de presse de vos services concernant la survie des cancers.
J’ai beau avoir lu et entendu beaucoup de choses surprenantes émanant de vos agences sanitaires, j’en suis resté pétrifié.
Alors que même les urologues jouent profil bas sur le dépistage du cancer de la prostate, connu et reconnu comme inutile et délétère par la HAS et la TOTALITÉ des agences sanitaires internationales, voici ce l’on peut lire dans ce communiqué de presse cosigné par l’INCa et l’INVS :
N’importe quel cancérologue compétent vous expliquera que cette histoire d’amélioration de la survie est un leurre, et que le dépistage du cancer de la prostate n’influence pas significativement la mortalité de ce cancer. Vous pourrez par exemple lire la mise à jour récente de la Haute Autorité de Santé à ce sujet.
Ce petit texte oublie juste de préciser qu’en 1990, le nombre de cancers de la prostate était de 22000. Le dépistage a plus que triplé les cas, et rien ne guérit mieux qu’un cancer qui n’en était pas un.
Je voudrais, Madame la Ministre, que vous compreniez qu’au travers de la crédibilité de vos agences sanitaires, c’est la vôtre qui est en cause.
Je vous demande, ainsi que les signataires de ce billet-pétition, de bien vouloir diligenter une enquête pour que nous puissions comprendre comment une telle incongruité scientifique, médicale et administrative a pu être élaborée et publiée par l’INCa et l’INVS.
À défaut, notre confiance dans les institutions sanitaires française sera profondément altérée, ce qui aura des conséquences graves alors que nous manquons de repères fiables en terme de santé publique.
Ajout du 9 février
Merci à Patrick Poisson de m’avoir signalé la modification de la page présentant le rapport sur le site de l’INCa.
L’encadré suivant a donc été ajouté hier soir :
Les résultats présentés dans le rapport « La survie des personnes atteintes de cancer en France, 1989 – 2007 » ne viennent pas en contradiction avec cette position. La réalisation importante dans notre pays d’un dépistage individuel du cancer de la prostate conduit à la détection de formes précoces de ce cancer. Or, pour le cancer de la prostate, près de 40 à 50 % des cancers dépistés sont d’évolution lente et ne se seraient jamais révélés au cours de la vie des personnes, correspondant à un surdiagnostic. La mesure de la durée de vie après le diagnostic, ou survie, est donc artificiellement augmentée pour ces cancers que l’on diagnostique plus tôt, sans que cette augmentation de survie ne traduise une amélioration du pronostic de la maladie. Ceci est appelé le biais « d’avance au diagnostic ». L’augmentation de la survie peut donc se faire sans lien avec une réduction de la mortalité.
L’impact réel de ce dépistage sur la mortalité, principal critère conduisant à la préconisation d’un dépistage, n’est à ce jour pas clairement démontré, avec des résultats contradictoires entre les différentes études. Parallèlement, les faibles performances du dosage du PSA comme test de dépistage, les conséquences physiques et psychologiques importantes (et pour certaines graves) des explorations et des traitements (complication des biopsies avec risque d’infections, de rétention urinaire, possibilité de faux négatifs ; séquelles de la chirurgie ou de la radiothérapie avec troubles sexuels, urinaires et digestifs) conduisent à une balance bénéfices/risques négative, c’est pourquoi les autorités sanitaires ne recommandent pas de pratiquer ce dépistage.
Le dernier paragraphe est très clair. C’est d’ailleurs la première fois que l’INCa prend une position aussi nette sur le caractère délétère de ce dépistage, rejoignant ainsi la totalité des agences sanitaires internationales.
Je me réjouis, avec les autres signataires de la pétition, de la rapidité et la clarté de cette réaction de l’INCa. J’espère que les autres co-émetteurs du communiqué (INVS, Hôpitaux de Lyon, Francim) reprendront ce correctif à leur compte.
Pour une parfaite efficacité, du fait de nombreuses reprises dans les médias du communiqué initial
Il serait utile que l’INCa et l’INVS émettent un nouveau communiqué pour que les journalistes puissent rectifier l’erreur qu’ils ont diffusée à leurs lecteurs ou auditeurs.
Reste à comprendre ce qui a pu se passer. Au vu de la vivacité de la réaction de l’INCa, et de la prudence des termes employés dans le rapport complet, il est probable que la bourde provient des services de communication qui ont dénaturé le message scientifique initial.
Il faudrait donc envisager une plus grande prudence à l’avenir lors de la validation de communiqués de presse contenant des informations susceptibles d’avoir un effet important sur la santé de dizaines de milliers de français.
Messages
9 février 2013, 17:40, par christian lehmann
Dominique,
ne jouons pas sur les mots. Comme Jean Daniel Flaysakier, je ne me satisfais pas de l’explication selon laquelle un "lampiste" aurait commis cette faute grave. "C’est une erreur de la com.." est aussi crédible que "C’est une erreur informatique". Quelqu’un a écrit et validé ce communiqué de presse en insistant sur l’effet bénéfique du dépistage individuel par le PSA "à la française", et de l’amélioration de chance quand les patients sont dépistés tôt. Cette affaire n’est pas close simplement parce que l’INCA a fait marche arrière sur son site. Comme tu le dis, le mal est fait. On ne peut pas sempiternellement dédouaner ces agences pléthoriques de leur consternante médiocrité. Tirons cela au clair.
9 février 2013, 21:07, par Dominique Dupagne
Je prêche peut-être le faux pour savoir le vrai ;-)
10 février 2013, 08:09, par Dominique Dupagne
D’après un source fiable, un relecteur scientifique unique du communiqué a laissé passer la bourde.
Reste que la rédaction tendancieuse du communiqué laisse penser qu’un urologue impliqué dans la promotion du dépistage par PSA devait traîner dans le coin lors de la rédaction initiale du document. Le problème de l’INCa et de l’INVS est que les conflits d’intérêts sanitaires sont loin de se limiter au monde du médicament.
Je trouve qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre un groupe de travail sur le cancer qui comporte un mammographiste, un radiothérapeute ou un urologue, et un groupe de travail sur le médicament qui comporte des expert dont les revenus proviennent majoritairement de la firme commercialisant les médicaments étudiés.
La stratégie concernant le dépistage des cancers doit être définie par des médecins de santé publique, des épidémiologistes et des généralistes. Les autres spécialistes ont leur place dans les groupes définissant les stratégies thérapeutiques.
Un grand ménage, digne de celui qui a été fait à l’ANSM, paraît nécessaire à l’INCa et à l’INVS.
10 février 2013, 09:08, par a annetin
comment continuer à exercer la Médecine au quotidien dans un tel contexte ?
10 février 2013, 14:34, par Dominique Dupagne
Quel que soit l’impact désastreux du communiqué, la force du correctif n’est pas négligeable.
En effet, jusqu’ici, l’INCa était restée très ambiguë sur le sujet, contrairement à la HAS qui a clairement pris position contre le dépistage.
Face à des patients dubitatifs, je n’hésiterai pas désormais à leur faire lire ce paragraphe "Parallèlement, les faibles performances du dosage du PSA comme test de dépistage, les conséquences physiques et psychologiques importantes (et pour certaines graves) des explorations et des traitements (complication des biopsies avec risque d’infections, de rétention urinaire, possibilité de faux négatifs ; séquelles de la chirurgie ou de la radiothérapie avec troubles sexuels, urinaires et digestifs) conduisent à une balance bénéfices/risques négative, c’est pourquoi les autorités sanitaires ne recommandent pas de pratiquer ce dépistage." qui est particulièrement clair.
10 février 2013, 14:36, par Dominique Dupagne
J’ajoute qu’il est probable que l’INVS publie le même communiqué. Nous aurons donc désormais une unanimité HAS, INCa et INVS contre les urologues de l’AFU, ce qui est très important.
10 février 2013, 12:04, par Bernard Cixous
Bonjour,
Je me permet d’insister... Dans le texte original, la rédactrice écrit dans ses commentaires :
"Cette évidence ne doit pas faire ignorer l’existence de progrès dans les prises en charge ayant eu eux aussi un impact sur la survie. Ces progrès se sont traduits dans la période récente par une diminution de la mortalité par cancer prostatique [1]. Les améliorations thérapeutiques peuvent avoir un impact sur la survie nette voire sur la mortalité même si elles n’ont pas un effet curatif. En effet, comme observé précédemment, les cancers prostatiques surviennent à des âges où la mortalité compétitive est forte. Un gain théorique d’une à deux années de survie « permet » donc plus fréquemment de mourir d’autre chose que de son cancer."
Comme référence bibliographique, la rédactrice s’auto-cite (!!!!).
IL EST BIEN ÉCRIT QUE LE TRAITEMENT DU CANCER DE LA PROSTATE AMÉLIORE L’ESPÉRANCE DE VIE. La deuxième partie du paragraphe est plus "prudente" mais les deux premières phrases sont suffisamment explicites.
Si je lis l’extrait de l’article de la Cochrane Collaboration publié le 31 janvier 2013, :
"Prostate cancer is one of the most prevalent forms of cancer in men worldwide. Screening for prostate cancer implies that diagnostic tests be performed in the absence of any symptoms or indications of disease. These tests include the digital rectal examination (DRE), the prostate-specific antigen (PSA) blood test and transrectal ultrasound (TRUS) guided biopsy. Screening aims to identify cancers at an early and treatable stage, therefore increasing the chances of successful treatment while also improving a patient’s future quality of life. This review identified five relevant studies, comprised of 341,342 participants in total. Two of the studies were assessed to be of low risk of bias, whilst the remaining three had more substantive methodological weaknesses. Meta-analysis of all five included studies demonstrated no statistically significant reduction in prostate cancer-specific mortality (risk ratio (RR) 1.00, 95% confidence interval (CI) 0.86 to 1.17). Meta-analysis of the two low risk of bias studies indicated no significant reduction in prostate cancer-specific mortality (RR 0.96, 95% CI 0.70 to 1.30). Only one study included in this review (ERSPC) reported a significant 21% relative reduction (95% CI 31% to 8%) in prostate cancer-specific mortality in a pre-specified subgroup of men. These results were primarily driven by two countries within the ERSPC study that had very high prostate cancer mortality rates and unusually large reduction estimates. Among men aged 55 to 69 years in the ERSPC study, the study authors reported that 1055 men would need to be screened to prevent one additional death from prostate cancer during a median follow-up duration of 11 years. Harms included overdiagnosis and harms associated with overtreatment, including false-positive results for the PSA test, infection, bleeding, and pain associated with subsequent biopsy." ;
les conclusions sont très différentes.
L’argument principal des opposants au dépistage systématique(dont je suis), si j’ai bien compris, c’est qu’il n’y a pas de bénéfice en terme de mortalité et que le risque d’effets secondaires ou complications est élevé.
Sommes-nous devant une nouvelle "exception française" ?
Quoi qu’il en soit, je trouve que le communiqué initial est fidèle au contenu du rapport. Hélas !
10 février 2013, 13:16, par alain braillon
Comment peut on être surpris de ce qui se passe ?
1/ C’est l’armée mexicaine : Quatre institutions avec des conseils scientifiques, des directeurs de la communication, etc etc.
2/ en attendant, toujours pas de document d’information claire pour les personnes sur les dépistages des différents cancers.
11 février 2013, 08:28, par a annetin
pendant ce temps là comment refuser la demande de PSA d’un patient qui dit avoir un proche chez qui on a découvert un cancer de la prostate "trop tard" ?
comment reprendre tout cela en consultation alors que notre métier n’a plus les moyens de défendre le praticien qui exerce en conscience tellement la pression du spécialiste est forte pour prescrire prescrire prescrire contre la peur ...mais la peur de qui ?
nous le voyons dans l’exemple DIANE la réalité du praticien quant au risque relatif ne tient face à la peur du public et des autorités
la démagogie en santé ne s’accommode pas de données statistiques actualisées
La santé c’est autre chose qu’un bien de consommation que l’on peut soumettre au droit et à l’économie
Comment rester serein quand il s’agit de maladie ,de vie ,de nombre de décès ...
Ignorer les spécificités d’un système et l’état d’esprit que l’on induit par la "prise en charge"déclarée des problèmes tout en exhibant sans cesse le coût d’un tel système c’est totalement paralysant et démotivant .
La médecine générale devient une mission impossible ...
11 février 2013, 10:23, par braillon
Ce communiqué coincide avec un éditorial du Lancet "The failure of cancer medicine ?" http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2813%2960228-7/fulltext?rss=yes
A nouveau, nos institutions en charge de la santé font de l’auto-satisfaction et le grand écart. C’est schizophrène
Cet édito est lié à un commentaire sur un plan d’action "stop cancer now" coordonné par le World Oncology Forum (Lugano 2012). La première action de ce plan en 10 points est : la guerre contre le tabac.
4 mars 2013, 19:40, par a
extrait :
"A Troyes, un patient atteint d’un cancer de la prostate a attaqué en justice son médecin généraliste. Cet homme reproche à son médecin de ne pas lui avoir prescrit un dépistage systématique, comme de nombreux spots le préconisent à la télévision. Le procès s’est ouvert aujourd’hui.
Le patient a peut-être vu à la télévision des spots de prévention conseillant à tous les hommes approchant la soixantaine de parler à leur généraliste du dépistage du cancer de la prostate. Ces spots sont financés par la Société française d’urologie. Il ne faut pas en déduire que ces incitations au dépistage systématique seraient profitables, financièrement, pour les urologues. "On peut cependant se poser la question d’un possible conflit d’intérêt", note le docteur Claude Leicher, président de MG France.
De plus, la Haute Autorité de Santé (HAS) et l’Institut national du Cancer (INCa), dont les avis font autorité, ne préconisent pas ce dépistage systématique car le bénéfice de ce dépistage n’est pas assurément supérieur au risque. Dans un communiqué, MG France “demande aux autorités en charge de la santé d’établir une règle solide sur un sujet de santé publique qui peut inquiéter les patients concernés mais qui ne saurait supporter la confusion générée par certains groupes de pression ”.
Le docteur Leicher est inquiet. "Le problème, c’est que les experts qui vont être appelés à la barre seront des urologues et non des médecins de santé publique ou des médecins généralistes. Nous, les généralistes, on est dans une injonction paradoxale. Nous sommes coincés entre les autorités sanitaires qui ne préconisent pas de dépistage systématique et la Société des urologues qui préconise ce dépistage systématique."
Médecins généralistes et urologues seront très attentifs au jugement du tribunal de Troyes qui devrait être rendu au plus tard le 26 mars 2013."