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La Soutenance
La façon dont s’est déroulée la soutenance de la thèse de Louis-Adrien Delarue est sans doute plus intéressante encore que sa thèse elle-même
Première publication : vendredi 18 novembre 2011,
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Louis-Adrien Delarue (LAD) a soutenu le 6 juillet 2011 une thèse dont le sujet était particulièrement délicat : l’influence des conflits d’intérêts des experts (universitaires) sur la qualité des recommandations médicales de la Haute Autorité de Santé. La valeur exceptionnelle de cette thèse a été largement saluée par la profession. Les conflits d’intérêts que LAD a mis en évidence ont pourtant poussé son jury de thèse à lui imposer de masquer tous les noms des experts cités.
Cette thèse-évènement a été très médiatisée, d’autant que les quatre recommandations étudiées par Louis-Adrien ont été depuis retirées par la HAS, soit spontanément du fait des conflits d’intérêts qui avaient entaché leur crédibilité, soit sur l’injonction du Conseil d’État qui avait été saisi par le FORMINDEP.
Nous disposons du verbatim des débats (publics) lors de la soutenance, grâce à des amis de LAD présents dans la salle. Je trouve que les paroles prononcées sont très éclairantes sur le contexte universitaire étouffant dans lequel s’inscrit la thèse de LAD. J’y ai puisé des extraits significatifs et j’ai demandé à LAD de les commenter. Le verbatim complet est disponible en téléchargement à la fin de l’article. Tenez compte du fait qu’il s’agit de la retranscription littérale d’un débat oral dont la syntaxe est toujours différente d’un texte écrit. J’ai donc légèrement adapté les extraits que je fais commenter à LAD pour les rendre plus lisibles.
Rien n’a été inventé ou modifié. Ce que vous allez lire, et qui vous paraîtra sans doute incroyable, a vraiment été dit pendant cette insoutenable soutenance.
Conformément à la recommandation qui a été faite à LAD pour sa thèse, nous n’avons indiqué que les initiales des intervenants. Le but de cet article n’est pas de stigmatiser tel ou tel professeur de faculté, mais de permettre de mieux comprendre la perception actuelle des conflits d’intérêts par l’Université française. Certains membres du jury de thèse participent à des instances officielles de régulation sanitairs.
J’interroge donc LAD sur son ressenti pendant le débat qui fait suite à la présentation de son travail devant le jury, à partir de quelques extraits particulièrement significatifs :
DD : Après la présentation de ton travail, le débat a été introduit par le le Dr JG, Professeur de médecine générale :
DD : Qu’as-tu ressenti en entendant la première phrase du Pr JG ? La suite t’a-t-elle paru atténuer ce qui aurait pu être pris comme un reproche initial ?
LAD : A vrai dire, j’ai eu peur. J’ai eu peur de n’avoir aucun soutien dans ce jury, pas même celui du professeur de médecine générale... Heureusement, tel n’a pas été le cas. Il ne m’a d’ailleurs pas laissé répondre et j’ai compris qu’il posait cette question a dessein. Afin de créer une sorte de digue anti-traquenards justement. Mais cela n’a pas suffit. La suite de la soutenance me l’apprendra.
DD : A en croire le Pr JG, tu as été particulièrement tendu pendant la présentation de ton travail ?
LAD : Oh que oui ! C’est peu dire, en fait. L’état de stress dans lequel j’étais a désagréablement gâché mon élocution, scandé mes phrases, haché mes propos, mouillé ma chemise, et embué les yeux de ma chère et tendre au premier rang dans le public. L’horreur qui vous donne l’envie de vous enterrer six pieds sous terre…
DD : C’est l’état normal de quelqu’un qui soutient une thèse difficile ! Passons au Pr MP. Il analyse la forme de ta thèse et émet quelques critiques mineures, puis te pose une curieuse question après avoir annoncé qu’il allait "attaquer" le fond :
DD : Quelles réactions ont suscité chez toi le choix du verbe “attaquer”, et cette question que je trouve assez insultante ?
LAD : Je savais que ma thèse risquait de ne pas plaire, de déranger les mandarins. L’inconnu était que je ne savais pas à quel point cela pouvait les irriter. L’écueil principal que je devais éviter était de faire de ma thèse un pamphlet. C’est pourquoi j’ai particulièrement soigné le fond de mon travail en argumentant et en référençant mes assertions avec le plus de rigueur possible. Que ne m’aurait-on dit si je n’avais pas cité correctement mes sources dans un travail scientifique ?
Je n’avais encore jamais entendu ce type de question lors des soutenances de thèse auxquelles j’ai été invité. J’ai répondu que j’avais lu toutes les références citées dans ma thèse. Que pouvais-je répondre d’autre ? A vrai dire, je m’attendais surtout à une critique de fond. Cette entrée en matière a eu au moins le mérite de me tenir sur mes gardes le reste de la soutenance.
DD : Continuons avec le Pr MP, spécialiste de la maladie d’Alzheimer, qui critique au passage le retrait de la recommandation de la HAS concernant cette maladie, pour cause de conflits d’intérêts des experts, retrait qui confirme le bien-fondé de ton analyse.
Toi : Oui.
Pr MP : Tout n’était pas médicament !
Toi : Certes.
Pr MP : J’aurais aimé dans ton propos entendre qu’il y avait des choses clairement mûries et réfléchies, et qui est un énorme service rendu aux malades. Et que pschiitt, sur la pression médiatique, le problème médicamenteux met les recommandations à la poubelle. Toi, avec ton niveau de lucidité et d’expertise, tu dois à un moment dire que c’est dommage pour les recommandations qui ont été élaborées et qui sont un vrai service rendu aux malades.
Deuxièmement, dans tes références bibliographiques, si tu me le permets, c’est beaucoup de liens internet et c’est seize fois la revue Prescrire. Et tu apportes un a priori positif complet à la revue Prescrire et un a priori négatif complet à d’autres références bibliographiques. Dans ton niveau d’expertise, il y a un moment où tu dois te dire : et si j’étais un peu critique par rapport à Prescrire, et si j’étais un peu moins critique par rapport à d’autres revues bibliographiques.
DD : Malgré ta réponse précédente, le Pr MP continues à te demander si tu as lu les recommandations que tu analyses dans ta thèse. C’est à mon sens toujours aussi insultant. Il continue en relativisant l’intérêt d’une des rares revues indépendantes de l’industrie pharmaceutique. Il confond la pression médiatique avec la conséquence d’une décision du Conseil d’Etat. Je trouve cela particulièrement hostile et surtout surprenant de la part d’une universitaire. Comment as-tu vécu cette critique acerbe ?
LAD : Sur le moment, je n’ai su que répondre. J’étais sidéré par la stupeur et l’indignation. Encore une fois, je m’attendais à une critique de fond. Si le propos de ma thèse était injuste, pauvre ou fallacieux, c’est ce propos qu’il fallait critiquer. Là, rien de cela. Simplement des mots suggérant que je ne suis peut être pas lucide, que je ne suis pas critique, que j’ai des a priori, que j’utilise trop internet, que je lis trop les revues indépendantes...
DD : Le Pr MP poursuit
Alors, je suis obligé quand même de revenir à la définition des conflits d’intérêts. Bon, on n’est pas épargné les PU-PH, on est des leaders d’opinions, chouette, mais on est tous pourris !
Toi : Je n’ai pas dit ça du tout. Non, je n’ai pas dis ça. Les médecins prescripteurs sont aussi épinglés que…[ le Pr MP t’interrompt ]
Pr MP : Toi, LA, tu es à fond dans ton truc, mais après il faut se rendre compte (...) La définition du conflit d’intérêt. Quand une personne est face à deux intérêts, il y a l’intérêt général et l’intérêt particulier, autrement dit c’est une contradiction entre l’intérêt personnel et l’intérêt collectif. J’ai des conflits d’intérêts, avec un intérêt personnel. Je ne crois pas être un homme sandwich. Je peux aller bouffer gratos ou être invité à un congrès, ce ne sont pas les patients qui vont en pâtir. Attention à la définition de “conflit d’intérêt”. C’est une définition que t’as pris dans le Vidal ?
Toi : Euh non dans le Vidal, il n’y a pas ce genre de définitions.
Pr MP : Euh, dans le Larousse pardon ?
Toi : Dans le Larousse ??? Non, non, c’est une définition tirée de mes lectures.
Pr MP : D’accord. Je ne me sens pas être un homme sandwich et je suis tout à fait capable de parler pour un laboratoire sans citer une seule seconde le nom de leur molécule.
DD : Le Pr MP personnalise le débat, était-il cité, lui ou un membre de son service dans ta thèse ?
LAD : Non, pas une seule fois.
DD : Il réagit comme si tu l’avais attaqué personnellement, as-tu eu une explication sur cette attitude ?
LAD : Je cite ces homologues professeurs ou docteurs en médecine qui ont des liens d’intérêts majeurs avec l’industrie pharmaceutique et j’affirme que ces liens biaisent le jugement scientifique au point de déformer des conclusions médicales dans le sens de l’industrie pharmaceutique. Si le Pr MP a des liens d’intérêts de ce type, je comprends que ma thèse puisse le mettre mal à l’aise.
DD : Tu souhaites alors répondre sur ce point, ce qui te vaut de nouveaux reproches :
Pr MP : Mais oui, le marketing l’a très bien compris, y’ a pas de souci, mais je suis très conscient de ça, il n’y pas de problème ! C’est juste que je te reproche de ne pas avoir plus pondéré.
Et par exemple, une ou deux choses par rapport à ça, deux choses très importantes.
Je ne peux pas te laisser déposer ça avec le nom des médecins inscrits dedans. Tu ne leur as pas donné un droit de réponse. Tu as cité leur nom en toutes lettres. Tu sais, la diffamation, y’en a pour moins que ça. Clairement tu ne peux pas citer le nom des professeurs dont tu reproches les conflits d’intérêts. Je crois que ce ne serait pas adroit. N’oublie pas que si tu es nommé docteur en médecine, c’est la faculté de médecine de P et nous-mêmes jury qui t’auront attribué le grade de docteur en médecine. On ne peut pas décemment te laisser marquer le nom des professeurs en disant celui là pffff…celui-là est pourri !
DD : Tu va alors répéter que tu n’as jamais émis de jugement de valeur sur les experts, mais le ton monte. Dans quel état d’esprit te trouves-tu alors ?
LAD : J’ai levé la main pour tenter de réagir. Mon cerveau s’embrouillait, j’essayais de réfléchir à cent à l’heure mais je n’y arrivais pas. Pendant quelques fractions de secondes, j’ai pris peur, une peur panique, celle de l’étudiant qui se dit qu’en dépit des nombreux mois passer à s’isoler dans son bureau, il n’obtiendra pas le titre de docteur. Puis je me suis repris. Je savais mon directeur de thèse serein, je savais qu’avec lui, rien de tout cela ne pouvait arriver.
Pr MP : C’est la lecture que je fais de ton ouvrage ! Et beaucoup d’autres le feraient…
Toi : Mais je n’ai jamais dit ça !
Pr MP : Sauf que ces gens là qui lisent ton ouvrage ne sont pas en face.
Toi : Oui, mais il n’y a pas une phrase où je dis qu’ils sont pourris !
Pr MP : Tu ne peux pas déposer cet ouvrage avec le nom des experts. Et tu oublies quelque chose de vachement important, dis donc ! Et la relation médecin/patient ? Qu’est-ce que tu penses des veinotoniques ?
Toi : Que ce sont des médicaments qui ne servent à rien…
Pr MP : D’accord… N’y a-t-il pas une femme dans l’assistance qui est quand même super ravie de prendre des veinotoniques quand la période estivale arrive, parce qu’elle est infirmière ou autre ? Que la relation avec nos malades va faire que le Dr L, le Dr G ou moi-même, allons lui prescrire un truc qui peut être ne sert à rien et dont le malade au quotidien, dit en profiter. N’oublie pas la relation médecin patient…
Toi : Mais…
Pr MP : Je traite les symptômes d’un patient…
Toi : Oui…
DD : Le débat devient surréaliste, jetant aux orties 50 ans de médecine scientifique et présentant le ressenti du patient comme principale justification de la prescription. Tu vas réagir plus tard en rappelant que les médicaments de la maladie d’Alzheimer ne sont pas des placebo et que leurs effets indésirables peuvent être graves. Mais que ressens-tu à ce moment en entendant le Pr MP ?
LAD : L’impuissance d’abord. L’impuissance de celui qui a essayé de mettre à l’honneur la médecine basée sur les preuves dans son travail de thèse et qui n’est pas récompensé par une critique fondée. Et ce à l’heure où les enseignants sont censées exercer les étudiants à la lecture critique d’articles (d’ailleurs une des disciplines du concours d’internat en 6ème année de médecine).
L’incrédulité ensuite. Le Pr MP interpelle le public pour appuyer ses dires, comme pour chercher un allié. Je deviens alors témoin de la scène et non plus acteur des échanges concernant mon travail. C’est vrai, c’était surréaliste.
Toi : Concernant les anti-Alzheimer, ce ne sont pas de simples placebos. Ils ont des effets indésirables graves…
Pr MP : Non, mais ça, pareil, tu l’as mis de manière beaucoup trop importante. Je dois suivre 400 patients Alzheimer qui sont traités et heureusement je touche du bois… Un traitement que tu prescris, tu le suis. Est-il bien toléré ? Tu réévalues !
Là, c’est un manque de ta pratique.
On suit des milliers de patients et leur famille. Tu crois qu’une famille ne souhaite pas à tout prix qu’un traitement anti-Alzheimer soit donné à ce malade qui est en souffrance ?
Ce que je veux te dire, c’est que tu dis énormément de choses pertinentes, mais avec ta capacité, ta lucidité, tu dois aussi à un moment te dire « et si… ». Parce que clairement, tu en as les capacités…
En tout cas je te remercie de m’avoir pris dans ton jury, et je te souhaite plein de bonheur personnel.
DD : Là, je dois dire que je suis assez soufflé. Balayer les données de la littérature sur les effets secondaires à partir de son expérience personnelle, il faut oser ! Le Pr MP néglige un biais majeur : les patients qui ne supportent pas le traitement sont peu motivés pour revenir se le faire renouveler. Les autres membres du jury ont-ils réagi à ces propos surprenants ?
LAD : Non. Mais je ne jette la pierre à personne. C’était à moi de réagir. Mais à ce moment, je souris bêtement, alors que c’est l’envie de crier mon désarroi qui me prend aux tripes. Et ce fichu sourire de façade, je vais l’arborer à plusieurs reprises par la suite. Pour garder contenance. Pour ne pas montrer ma peine et mon irritation. Parce que ce titre de docteur, je l’attends plus que tout ce jour là.
DD : Le débat se poursuit avec les questions du Pr FR
DD : C’est plutôt sympathique comme introduction. Mais elle aussi va personnaliser le débat ensuite. Ta thèse cite-t-elle un membre de son équipe ?
LAD : Aucunement. Mais manifestement, ma thèse a gêné ou culpabilisé mes maîtres. Se reconnaissent-ils dans la description que je fais des leaders d’opinions liés à l’industrie ?
Toi : Non.
Pr FR : Eh bien c’est dommage...
[rires dans le jury et dans la salle]
Toi : Je ne suis pas inquisiteur.
Pr FR : Non, mais comme vous aviez mis les noms des médecins dans votre thèse comme l’a dit le Pr P...
Toi : Je les ai mis parce qu’il s’agit de déclarations publiques d’intérêts, qui sont censées être sur internet.
Pr FR : Oui, mais les nôtres aussi…
Toi : Encore une fois, je n’ai pas fait de délation.
Pr FR : Donc je vais vous répondre, j’ai déclaré deux conflits d’intérêts pour 2011, pour 2010, et un congrès. Mais voilà je ne pense pas être… bon voilà.
Et après coup, je me suis dit comme le Pr P : eh bien voilà vous êtes parti d’un postulat « Prescrire, c’est la vérité… et l’industrie pharmaceutique, ce sont des pourris ». Donc, je l’ai lu en essayant de me faire l’avocat de la défense.
Les coupables, je pense que ce sont les praticiens. Je crois que c’est notre devoir quand on prescrit quelque chose de faire une analyse critique des données qu’on a.
Alors d’un point de vue méthodologique, je voudrais vous demander comment avez-vous choisi ces 4 recommandations ? Au hasard ? Vous avez fait un tirage au sort ?
Toi : Non, non pas du tout. Je les ai choisies parce qu’il s’agissait de maladies chroniques, invalidantes, prises en charge à 100% par la Sécurité Sociale. Et je les ai choisies parce qu’elles étaient récentes. Je n’ai pas voulu prendre des recommandations qui dataient d’avant l’époque du Vioxx…
Pr FR : Oui, mais il y en a plein d’autres…
Toi : Oui, oui, bien sûr. Et j’ai choisi ces recommandations parce qu’elles traitaient de médicaments qui étaient considérés comme des innovations mais qui faisaient déjà l’objet de polémiques en fait. Les glitazones.
Pr FR : Donc, vous êtes déjà parti avec un a priori.
Toi : Oh, je ne pense pas que sur un tel sujet, on puisse faire abstraction de ses a priori.
Pr Fr : Et voilà…
Toi :…en sachant que là, l’intérêt des patients est clairement en jeu, puisqu’il y a des décès.
Pr FR. Oui, mais moi je vais vous donner un exemple. Il y a des recommandations pour la prise en charge des patients VIH en ville. Il ne semble pas que qui ce soit remette en cause les traitements aujourd’hui. Vous auriez pris les recommandations sur le VIH, vous auriez peut etre fait des conclusions très différentes.
Toi : Oui, oui tout à fait...
Pr FR m’interrompant : Vous êtes parti à mon avis avec un biais…avec un a priori dans votre analyse… Et le biais c’est « Saint Prescrire » opposé aux ripoux de l’industrie !
DD : Eh bien ça démarre fort ! On n’aime pas beaucoup la presse indépendante chez toi !
LAD : J’essayais d’intervenir pour répondre sur ces points, mais elle a continué et j’ai arboré un sourire exprimant un sentiment de désarroi mêlé d’impuissance à m’exprimer. Au lieu de critiquer le fond de mon travail, on sous entend que je déifie Prescrire ... Ce n’est pas vrai. D’abord faire penser que ma thèse se résume à une compilation des numéros de Prescrire est pour moi outrageant. J’ai lu pendant 3 à 4 ans des centaines et centaines de pages de plusieurs ouvrages et articles afin de cerner et peaufiner mon sujet de thèse. Maintenant je cite évidemment la revue Prescrire, car elle disposait d’articles sérieux et correctement référencés. Les données de pharmacovigilance concernant les effets indésirables médicamenteux ne s’inventent pas. Et ce n’est quand même pas de ma faute si les autres revues ou les instituions sanitaires traitent si mal ces questions.
Mais diaboliser les revues médicales indépendantes est malheureusement courant dans les facultés de médecine françaises. Et cette diabolisation n’est évidemment pas anodine, quand on sait l’omniprésence de l’industrie pharmaceutique dans la formation initiale et continue des médecins.
Toi : je ne sais pas.
Pr FR : Moi non plus…
DD : Là, je suis effaré. Nous avons quelques certitudes sur le Mediator, notamment que la prescription AMM a amplifié l’usage du produit, mais n’est pas la cause de sa nocivité : il était indiqué pour des affections bénignes comme l’excès de triglycérides ou en traitement adjuvant du diabète. Personne n’a relevé dans la salle ?
LAD : Le Pr FR voulait justement dire que le produit avait été majoritairement utilisé HORS-AMM à tort. Le problème est qu’il est trop simple de mettre en cause uniquement le prescripteur. J’ai signalé que le laboratoire qui commercialisait ce médicament avait manifestement poussé dans le sens d’une extension des indications aux obèses “pléthoriques”. C’est trop facile de ne pas se poser la question de l’impact du lobbying forcené de l’industrie pharmaceutique avec la complicité de médecins manipulateurs d’opinions eh bien évidemment des autorités sanitaires.
Elle a ensuite appuyé sur le fait que j’avais signalé la brièveté du suivi des patients dans les études visant à obtenir l’AMM d’un médicament, et que ce n’était pas pertinent. Elle a ajouté que si l’on découvrait la pénicilline maintenant, elle ne serait pas commercialisée à cause des allergies. Et puis elle a abordé le problème des conflits d’intérêts à propos de la formation.
Je voudrais vous demander deux choses. Dans les conflits d’intérêts, vous citez un expert qui a des conflits d’intérêts avec les 4 firmes pour la maladie d’Alzheimer. Quand on en a avec tout le monde, finalement est-ce que ce n’est pas plus on en a, finalement moins on en a ?
Toi : Non. C’est ce que je disais tout à l’heure. C’est à mon avis une rhétorique par l’absurde. Que de dire que l’on est indépendant parce que l’on a plein de dépendances.
Pr FR : Je ne sais pas parce que quand on est expert…Quand on est expert, forcément que les labos vont s’adresser aux experts pour leur étude, ça c’est sûr. Ils ne vont pas aller s’adresser à moi pour faire de l’Alzheimer, ça alors ce serait en pure perte. Mais si finalement je me lance dans une étude, enfin si un expert se lance pour un labo, ok, ils deviennent…conseiller du labo en quelque sorte. Si il offre ses services aux quatre firmes qui font ces médicaments, est-ce que finalement, ça ne donne pas une certaine transparence.
Toi : Je ne crois pas. Je pense que l’industrie pharmaceutique a intérêt à multiplier ces liens. Et les compagnies pharmaceutiques, bien que concurrentes pour certains produits, ont des intérêts communs. Elles ont l’intérêt de créer des maladies, elles ont l’intérêt commun qu’on prescrive les molécules les plus récentes, les plus chères, et pas forcément les mieux éprouvées. Qu’un expert ait plein de liens d’intérêts avec différentes firmes, ça ne gêne pas ces firmes.(...)
DD : Belle réponse. Votre débat porte ensuite sur la lecture des études, et notamment sur celles qui sont disponibles car positives pour les produits, et celles qui n’ont pas été publiées car défavorables. Le Pr FR, malgré ses vives critiques, termine plutôt positivement :
En tout cas, vraiment, j’ai lu avec beaucoup, beaucoup d’intérêt votre travail. Vous n’êtes pas passé dans mon service, vous n’auriez pas vu beaucoup de labos, il n’y en a pas beaucoup qui viennent. Je vous souhaite bonne chance pour la suite.
DD : Personne n’a pensé à lui faire remarquer que c’est justement ce que fait la Revue Prescrire, une synthèse de la littérature ? Qu’as-tu pensé de sa remarque finale ?
LAD : Mon directeur de thèse, le Dr JLL, était justement intervenu quelques minutes plus tôt pour rappeler que puisqu’il était impossible au soignant de lire l’ensemble de la littérature primaire, il fallait des synthèses fiables de cette littérature.
Quant à la remarque finale du Pr FR, je ne peux m’empêcher de sourire. J’avais passé trois mois dans ce service comme externe, juste avant mon internat. Je n’ai pas constaté de différences avec les autres services concernant l’accueil favorable des “labos”.
DD : Le dernier membre du jury à réagir est la présidente du jury qui est pharmacologue.
Vous avez parlé des rapports sur Médiator. Vous avez dit qu’il y avait beaucoup de morts, beaucoup de décès… D’après vous il y en a eu combien ?
Toi : J’ai dit que c’est pour le Vioxx qu’il y a eu beaucoup de décès.
Pr MCPP : Oui, vous l’avez dit aussi pour le médiator ; alors d’après vous il y en a eu combien ?
DD : Revoilà le Médiator, je n’ai pas souvenir que tu ais détaillé cette affaire dans ta thèse, ni parlé des morts ?
LAD : Non, je cite les mots “ Scandale du Médiator” une fois dans mon introduction pour mettre mon sujet de thèse en perspective. Je ne cite aucun chiffre de décès. Ce n’était pas mon sujet. Je n’aurais pas dû répondre à sa question et dire que je n’en savais rien...
Pr MCPP : Deux cent…Cinq cent… ? Vous faites montez les enchères ?
Toi : Non, pas du tout. Mais il ne me semble pas…
Pr MCPP : Mais si parce qu’il y a eu une étude épidémiologique où on est monté à deux mille quand même…Au jour d’aujourd’hui, après tout le battage médiatique et les déclarations de patients, et je peux vous dire qu’il y a eu plus de deux mille déclarations de patients, l’ensemble des cas qui a été retenu par les spécialistes, aussi bien pneumologues que cardiologues est de huit décès. Vous me direz c’est huit de trop, mais je voudrais simplement que ce que vous reteniez, c’est de la pondération. Donc là vous voyez, vous parlez du scandale…la presse y a été pour beaucoup…
DD : Diable ! Passer de 500 à 8, ça c’est de la pondération... Suit un plaidoyer pour la pioglitazone et la difficulté de gérer les dossiers de retrait de produit à l’échelle européenne, et enfin une curieuse question :
On retire un produit. Très bien. Mais quelles sont les conséquences et quels peuvent être les dommages collatéraux ?
Toi : Pour la glitazone, on…
Pr MCPP : non, mais de manière générale, sans citer de produit ?
Toi : On, on…
Pr MCPP : Le médicament lambda.
Toi : Le médicament lambda ? Je ne peux pas répondre à cette question. Mon travail de thèse était sur les médicaments qui n’avaient pas de bénéfice par rapport à l’existant, sur de multiples effets indésirables. Pour la pioglitazone, ce n’était pas seulement des cancers de la vessie.
Je pense au contraire que les recommandations de la HAS doivent dire les choses clairement… On ne peut pas demander à un médecin généraliste, ou à je ne sais quel prescripteur de prescrire sans réfléchir. Il faut bien qu’il sache les bénéfices et les risques !
Pr MCPP : Je suis d’accord avec vous. Mais, Je reviens à ma question. Médicament lambda ?
Toi : Oui ?
Pr MCPP : Il est retiré du marché… Quelles peuvent être les dommages collatéraux ? Que vous devez envisager en tant que citoyen, et pas uniquement en tant que prescripteur ?
LAD : À ce moment, je suis très mal à l’aise, je me recule sur ma chaise, croise et décroise les jambes. Je ne comprends pas la question. Je fronce les sourcils. Rien de plus embarrassant que de ne pas savoir répondre devant un public de 40 personnes…
Pr MCPP : Ah Non, mais attendez…Bénéfices…
Mon directeur de thèse, me souffle tout fort : « Pour l’emploi ! »
Toi : On me souffle : pour l’emploi ? [rire nerveux de ma part - brouhaha dans le public]
Pr MCPP : Ben oui, ça vous est soufflé ! Ça vous est soufflé, mais sachez que c’est un paramètre qui est pris en compte lorsqu’il y a une décision de retrait d’un produit.
DD : On se pince pour être sûr que l’on assiste bien à une thèse de médecine et non d’économie...
LAD : Je suis totalement stupéfait. Je marque une pause visant à retrouver mes esprits, et à réfléchir sur ce que je vais pouvoir répondre avec calme et politesse...
Pr MCPP : Mais moi je vous pose cette question, parce que je vous pousse, là, au bout de votre démarche… Mais sachez que moi, c’est mon job au quotidien !
Toi : Oui ?
Pr MCPP : C’est-à-dire que quand je prends une décision de dire que ce médicament, je vote pour son retrait, sachez que derrière il y a autre chose qui se met en place. On va au-delà… donc je vous emmène sur une réflexion
Toi : Pour moi, c’est une nouvelle donnée de savoir si il faut...
Pr MCPP : Et oui, mais…
Toi : Eh bien non, mais ça me parait complètement inconcevable de se dire : eh bien le médicament a peut être une mauvaise balance bénéfices/risques, mais on va le garder sur le marché pour favoriser les emplois !
[La présidente sourit, et ne réponds pas]
Pour moi, ça me parait…
[Je réfléchis en relevant les yeux]
Alors c’est peut être à mettre sur le compte de ma jeunesse, je n’en sais rien, mais ça me parait …totalement …absurde !
[rires de ma part, rires de l’assemblée, brouhaha dans le public, et rires de la présidente de jury].
DD : Tu n’as pas peur de tenir ainsi tête à ta présidente de jury. A ce moment, est-ce que tu penses que ta thèse ne sera pas acceptée ?
LAD : A vrai dire, non. A ce moment, je suis trop en colère. Comment est-ce possible qu’un médecin ou un enseignant défende encore de telles arguties à l’heure du Médiator ? C’est tout simplement incroyable. Comment peut on assumer en public le fait qu’il faille “défendre les emplois des firmes” quitte à ce que cela se fasse au détriment des patients ?! Que de telles positions soient soutenues de la part d’une industrie sans scrupule, je veux bien, mais de la part d’un professeur de médecine... Cette position renie tous les principes inscrits dans le serment que je suis censé prêté quelques minutes plus tard.
DD : Le Pr MCPP poursuit sur la politique du médicament et reparle du Médiator. Elle justifie ensuite sa question et reparle de la revue Prescrire :
Pr MCPP : (...) Mais, votre sujet, moi, je suis au quotidien dedans, et ce que vous avez écrit, je le sais, je le connais, je le fréquente, donc votre sujet ne m’a pas choqué en soi.
Je pense qu’il faut que vous preniez un peu de recul… Prescrire, pour l’anecdote, avait démoli un médicament il y a quelques années parce que c’était un produit amaigrissant, qui augmentait la survenue des cancers du sein. Non, c’est simplement que les femmes avaient maigri et qu’on réussissait à mieux les palper et qu’on détectait mieux les tumeurs. Donc, bon, ça c’est une anecdote…mais là encore vous aurez bientôt des surprises avec ce médicament. Vous verrez bien, ça va être dans la presse d’ici peu de temps.
Toi : Je ne voudrais pas qu’on laisse penser que je lis Prescrire sans me poser aucune question. Je participe à des forums médicaux et je fais partie de ceux qui remettent en cause Prescrire sur un certain nombre de points.
Pr MCPP : Moi, pour connaitre Bruno Toussaint et avoir pas mal échangé avec lui, on n’est pas toujours d’accord, il y a des choses vraies dans ce qu’ils écrivent et d’autres choses qui sont inexactes, et il faut pouvoir apporter la contradiction si on le souhaite.
Toi : Oui la contradiction scientifique doit prévaloir partout, et à tout moment…
Pr MCPP : Mais là encore, je vous dis qu’il faut toujours savoir faire son autocritique, et se mettre parfois en retrait, être sur la berge et regarder ce qui se passe.
Voilà, moi j’ai fini. Je vous remercie pour votre travail.
On va délibérer assez rapidement.
DD : Ton calvaire est alors quasi-terminé. Tu n’auras pas été épargné. Dans quel état d’esprit étais-tu en attendant le résultat de la délibération ?
LAD : En fait je suis dans la peau du boxeur qui vient de se prendre quelques coups de poings au visage. Chancelant, mais debout. Et qui attend le verdict de l’arbitre. Je suis désolé de faire ce type de métaphore, mais je l’ai malheureusement vécu ainsi.
Pour dire vrai, j’étais abasourdi par la teneur du “débat”. J’ai vraiment eu l’impression d’une
parodie de discussion scientifique, et c’est ce qui m’a le plus déçu.
Retour de délibération :
LAD : Voilà, c’est fait. Je suis docteur. Docteur sous condition. La condition de cacher au public le nom des experts cités dans ma thèse, subodorant du même coup le caractère potentiellement diffamatoire de ce travail. Tout ceci dans le but avoué de se “protéger” ou dans le but non avouable de protéger les confrères.
J’ai porté mes exemplaires censurés à la faculté une semaine après ma soutenance, afin que l’on me délivre le fameux certificat provisoire de docteur en médecine. Cette semaine là, j’ai perdu le sourire. Il a fallu tous les encouragements et les félicitations de mon directeur de thèse, de mes collègues, de mes amis et de nombreux soutiens internet pour recouvrer toute mon énergie.
DD : Voilà comment s’est déroulée la soutenance d’une des thèses de médecine les plus brillantes de ces dernières années. L’exercice de style consiste habituellement a faire allégeance à ses maîtres en montrant que l’on a bien assimilé la méthode. Le contenu n’a pas trop d’importance, même si certaines thèses décrivent des travaux originaux ayant vocation à être publiés. La thèse de LAD fait partie de celles, peu nombreuses, qui font avancer la médecine.
Sa description des errances de l’expertise médicale lui a valu une volée de bois vert et une censure partielle de son travail. Pourtant, entre le moment ou LAD a démarré son travail et la soutenance, d’importants scandales sanitaires sont venus appuyer le bien fondé de son analyse. C’est peut-être d’ailleurs ce qui la rend si dérangeante pour certains experts universitaires.
Vous pouvez réagir sous cet article si vous avez un compte Google ou sur le forum http://www.atoute.org/n/forum/showthread.php?t=142711. Je trouve que LAD a bien mérité sa place dans la distribution StarWars. ;-)
Ajout du 22/11/2011
Parmi les premières réactions à la publication de cette soutenance, j’en ai trouvé une particulièrement intéressante. Il s’agit de celle d’un professeur des universités qui poste sous le pseudonyme de Stéphanekyste en réaction à ce billet. C’est quelqu’un que je fréquente dans les espaces sociaux du web et que j’apprécie beaucoup. Il est aux antipodes du Grrrrand Professeur suffisant et dogmatique.
Il analyse lucidement, sans chercher à condamner ni à justifier, les raisons qui ont conduit ses pairs à un tel comportement. Son analyse sociologique du fonctionnement du jury est juste. Ce qui est terrifiant, c’est ce qu’elle sous-tend sur le plan intellectuel.
Un thésard n’a plus pour mission de faire avancer sa discipline par un travail original, ni même de montrer son aptitude à entreprendre une réflexion scientifique bien construite. Non, la seule mission du thésard est de prêter allégeance à ses maîtres pour rentrer dans la grande famille des petites et grandes compromissions. On a beau le savoir, c’est toujours un choc de le constater. Nous sommes dans une hiérarchie primitive de domination et de soumission. L’Université est retournée au paléolithique, à supposer qu’elle l’ait quitté un jour.
Messages
22 avril 2012, 01:39, par Nelly
Je viens de lire la thèse du Docteur Delarue, avec un intéret passionné. Je sais qu’elle date de l’an dernier, mais l’article de Novembre m’avait échappé jusqu’alors. Mieux vaut tard que jamais...
Je souhaite avant tout féliciter notre confrère pour la qualité et l’exhaustivité de son travail. J’en ai été presque abasourdie.
Je pense qu’un tel travail peut -et doit- faire référence dans toutes les formations qui s’intéressent à la lecture critique des recommandations des sociétés savantes, et en particulier celles éditées par l’HAS.
Je le remercie pour avoir réactivé ma propre vigilance, et avoir conforté mes choix de lectures : Prescrire, Médecine, les revues de la Cochrane, ( même si j’ai été déçue pour le New England, et autres revues internationnales de grande audience...) Rien ne remplace jamais la lecture les yeux ouverts !..
Encore une fois, Merci...