Une publication professionnelle québécoise montre qu’il reste possible de conjuguer la présence de publicités et un rédactionnel de qualité. Cette coexistence inhabituelle repose sur les hommes ou les femmes et non sur les structures.
J’ai été contacté en mars 2012 par une journaliste québécoise, Fabienne Papin, qui réalisait un dossier sur les conflits d’intérêts et les médecins. Je ne connaissais pas son journal "L’Actualité Médicale", bimensuel professionnel canadien au format tabloïd.
Éditrice : Caroline Bélisle
Rédactrice en chef : Catherine Choquette"
Je me méfie habituellement de ces journaux bourrés de publicité, mais la journaliste posait d’excellentes questions et faisait référence à sa lecture d’un article sur la "Bulle médicale" déjà ancien, mais qui me tient à coeur. Je me suis donc prêté au jeu des questions réponses. J’ai reçu récemment le numéro du journal contenant le dossier.
Si j’en ai fait un article et reproduit le numéro dont il est question ci-dessous [1], ce n’est pas par narcissisme, je n’ai pas l’habitude de copier sur Atoute les journaux qui parlent de moi ou de mes idées, même avec ma photo en couverture ;-).
Ce qui me pousse à vous en parler, c’est l’étonnante qualité de cette publication. Nous sommes, en France, habitués à la médiocrité scientifique des tabloïds professionnels que nous les parcourons généralement pour les seules informations socioprofessionnelles. Tout le rédactionnel médical suinte le conflit d’intérêt, voire la publicité masquée.
Je suis le premier à affirmer, avec le Formindep, qu’il ne peut y avoir d’indépendance totale sur un support financé par la publicité, mais il y a des degrés et des nuances entre le publi-rédactionnel généralisé que nous connaissons, et les publicités présentes par exemple dans le New England Journal of Medicine qui ne semblent pas en affecter significativement le contenu. D’ailleurs, je vois assez mal un dossier aussi complet sur les conflits d’intérêts être publié dans le Quotidien du Médecin ou Impact Médecine. On y lit plutôt que l’indépendance de l’industrie pharmaceutique serait synonyme d’incompétence, odieuse litanie reprise en coeur par les experts qui vivent aux crochets de l’industrie.
Mais revenons à L’Actualité Médicale. J’ai découvert dans ce numéro (le seul que j’ai étudié) une sorte de "fraîcheur", en tout cas une liberté de ton que je ne m’attendais pas à trouver dans un journal aussi dense en publicité. J’ai interrogé Fabienne Papin sur les mécanismes de cette indépendance rédactionnelle apparente. Elle m’a simplement répondu "j’ai une rédactrice en chef géniale". Cette explication ne m’étonne guère. Il n’y a que des hommes (ou des femmes en l’occurrence) pour être (parfois) capables d’éviter les mécanismes habituels de la corruption des publications par les annonceurs ou l’appétit des actionnaires.
J’y trouve un message d’espoir pour nous français, alors que nos publications professionnelles, hors Prescrire, Pratiques et Médecine, semblent vouloir toucher le fond en matière de compromission intellectuelle. Il y a peut-être une place pour des publications contenant de la publicité, si l’on veille à placer des hommes ou des femmes intransigeant à la tête de la muraille de Chine qui doit séparer la rédaction de la régie publicitaire. Honnêtement, je n’y crois pas trop. Mais l’Actualité Médicale est une bonne surprise.
Voici le numéro complet qui vous permettra de vous faire une idée. Les pages manquantes sont de pleines pages de publicité pour des médicaments.
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La seule question que je me pose, pour avoir connu le phénomène en France, c’est : que se passera-t-il si ce journal change de mains ? Comment assurer la pérennité de cet équilibre instable si une logique de profit maximal à court terme s’impose brutalement ?
[1] J’ai reproduit ce numéro avec l’autorisation de la journaliste et de sa rédactrice en chef, contrairement aux contenus de ce site, il n’est donc pas sous licence créative common et ne peut être reproduit sans l’autorisation du journal.