comme il sera toujours difficile, avant et après le 23 janvier , d'évaluer le prix du service que nous fournissons à un malade , dans une société essentiellement marchande et de plus en plus égoiste, voici comment pour ma part j'ai résolu le dilemme de me sentir constamment "mal payé" en excès et en défaut... J'ai expliqué à mes patients que la somme qu'ils me versent n'est pas un tarif, mais un "honoraire". C'est à dire qu'il ne correspond pas du tout, mais alors pas du tout, à ce que je fais pour eux le jour meme, mais à l'évaluation approximative de ce que la société accorde à un acte "standard" d'un ex étudiant en médecine. Que c'est , peut etre, la moins mauvaise façon de rémunerer cet "acte idiot" qui est de vouloir encore soigner l'autre dans un monde où l'on se fout de tout, parmi une "espèce idiote" où le salariat, pur et simple, pousse , lui, à d'autres tentations, dont celle du je m'en foutisme . Je leur donne l'exemple du prix du journal, qui est le meme le jour ou deux tours s'écroulent à New York que le jour où Auxerre fait match nul à Guinguamp. On paie peu cher dans un cas, et probablement trop dans l'autre ( même si le football est aussi important que la santé), mais on est fidèlement abonné à son journal... L'honoraire est ici désormais standardisé, banalisé comme le sont les salaires des gens payés au mois, et d'autres choses de la vie, et je leur explique que je me sens parfois "volé" , quand ils ont un problème me demandant temps et énergie, par cet honoraire ridicule, comme le sont les autres patients que je délaisse alors pour eux, et que je suis parfois "voleur", quand ils s'adressent à moi pour un nez qui coule ou autre banalité à laquelle je n'accorderai, nécessairement que quelques minutes. Je leur explique que je serai toujours trop mal payé, pour le jour ou ils auront vraiment besoin d'utiliser à plein mes talents, et qu'aussi je vis la plupart du temps de petits larçins (piqures, vaccins, prises de tension) pour pouvoir leur consacrer du temps dans les occasions difficiles. Je leur souhaite enfin d'avoir, pour ce qui les concerne, affaire aussi longtemps que possible à un "médecin voleur", aussi apte à traiter avec diligence beaucoup de maux bénins, qu'à devenir "médecin volé" , je veux dire médecin desinteressé de tout autre chose que de leur santé. Voler du temps (et un peu d'argent) aux gens en bonne santé, pour le redonner au centuple à ceux qui en ont réellement besoin est une stratégie , dès lors qu'elle est expliquée,qui n'enlève ni le respect de l'autre ni celui de soi même... Le tout est de l'expliquer. Aux autres et à soi même. Monsieur A. est ainsi un patient qui me tira du lit pour une précordialgie suspecte. Le diagnostic, fait à son chevet, lui plut tellement qu'il vient désormais tous les mois renouveller son inhibiteur calcique. Mal me prit un jour de lui dire qu'un contrôle trimestriel suffirait; il s'était appliqué à lui même cette règle que j'applique désormais à tous les autres. Le fait qu'il m'ait tiré du lit lui ayant eu , à ses yeux, des retombées jugées vitales, l'autorise, à me traiter "comme un voleur", à "honorer" mensuellement et rituellement. Je respecte sa "convention", signée nuitamment, à laquelle mr Spaeth, Johanet et autres futurs présidents de la république ne trouveront, j'en suis sur, rien à redire.... bruno picsou adepte de la maitrise comptable médicalisée.
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