Les caractéristiques de l’être intelligent décentralisé et sortant de soi. Le caractère de l’intelligence est au pôle opposé. Un être intelligent est un être décentralisé, un être qui sort de soi. On a cherché souvent ce qui fait la caractéristique de l’homme. Les philosophes (ils se sont occupés de tant de choses!) l’ont recherché eux aussi. Les uns ont dit: c’est le langage. - le langage? et les perroquets? - D’autres ont dit: c’est la religiosité, c’est-à-dire cette capacité qu’à l’homme de connaître quelque chose de supérieur à soi.
Darwin lui, pense différemment: il ne croit pas que la religiosité soit l’apanage exclusif de l’homme, et voici sur quoi il base sa démonstration:
un jour dans une promenade, il s’assit entre son chien et son parapluie, lequel était ouvert. Survint une brise légère qui fit osciller le parapluie. Devant ce mouvement insolite, le chien aussitôt se mit en arrêt. Darwin très compétent à coup sûr pour savoir ce qui se passe dans le cerveau d’un animal, conclut de cet incident que le chien, incapable de saisir le lien qui existe entre le vent d’une part, et de l’autre le mouvement qu’il imprime, en concluait dans son intelligence de chien, à l’existence d’une cause supérieure, invisible, transcendante. Et de tout cela, Darwin tire la conclusion que la religiosité n’est pas la caractéristique de l’homme et se rencontre aussi chez l’animal: c’est ce qu’il fallait démontrer.
Laissons le langage: Autrement ceux-là seraient hommes qui parleraient davantage. Laissons la religiosité. Quelle est donc la caractéristique de l’homme? C’est l’intelligence. L’intelligence, voilà qui est beau! L’intelligence c’est la faculté de l’universel, c’est la faculté qui nous fait voir, non seulement ce qui est vrai pour moi, ce qui est bien pour moi, ce qui est beau pour moi; mais ce qui est vrai en soi, ce qui est bien en soi, ce qui est beau en soi. Voilà ce qui constitue la caractéristique et la dignité de l’homme, ce qui l’élève au-dessus de la sensibilité et de l’animalité pure. Se déprenant de ces chaines basses et de ces ignobles attractions, l’homme est capable de s’élever à la conception intellectuelle d’un ordre universel, d’un ordre supérieur, d’un ordre idéal, à vouloir cet ordre, à le réaliser, et à y dévouer sa vie.
“L’homme, a-t-on dit, c’est un être capable de donner sa vie pour la vérité et pour la justice.” Oui, mais si l’homme est capable de donner sa vie pour la vérité et pour la justice, c’est donc qu’il est un être décentralisé, un être universel, affranchi de lui-même, capable de sympathiser avec toute intelligence créee, d’entrer en association avec Dieu même. C’est ce qui m’a fait dire quelquefois: “Ce qui fait la dignité de la personne, c’est qu’elle est impersonnelle.” Cela ressemble à un jeu de mots; le jeu de mots est bon. Oui, la dignité de la personne, c’est qu’elle est impersonnelle, c’est-à-dire qu’elle est capable de s’élever au-dessus d’elle-même et de l’animalité, pour reconnaître ce qui est beau, non pour elle, ce qui est bien, non pour elle, ce qui est vrai, non pour elle; mais ce qui est beau, ce qui est bien, ce qui est vrai pour Dieu et pour toute créature intelligence, qu’elle qu’elle soit.
L’homme a été créé pour cela: non point pour le bonheur, mais pour le bonheur qui est le bien. si l’homme avait été créé pour le bonheur simplement, il aurait le droit de le chercher partout où il le trouverait: “le bonheur, c’est mon bien, je le prends partout où je le trouve..
Non, il faut à l’homme un bonheur qui soit à sa taille, un bonheur qui soit le vrai, un bonheur qui soit le bien, un bonheur qui soit le bien souverain.