Bonjour Laurence,Tu lances un débat intéressant et je me reconnais aussi beaucoup dans ton message. Je te reçois cinq sur cinq quand tu exposes si intelligemment l’annonce du diagnostic, en effet pourquoi serions-nous privés du droit de savoir alors que les médecins ont l’obligation de l’annoncer à leur patient, en tenant compte bien évidemment du niveau intellectuel du malade ? Pendant un temps je me suis battue contre mes psy et me scandalisant de cette toute-puissance qu’ils s’exerçaient sur moi en refusant de me donner l’ombre d’un diagnostic et je les poussais dans leurs retranchements à chaque fois qu’ils me parlaient de traitement neuroleptique sur des années, si je n’étais pas schizophrène, ce n’était pas justifié… Mais ça bouge, les psychiatres se rendent compte que finalement les malades se responsabilisent davantage en le sachant (cf. l’étude parue l’an passé à l’hôpital Saint-Anne à Paris…) et que loin de les enfoncer ça les aide…
Alors le dire ou ne pas le dire à son entourage ? Je dirais que ça on le sent très vite. Il y a des gens très réceptifs et d’autres pas. Quand je n’ai avec les gens que des rapports distants, collègues, voisins, relations amicales je ne le dis pas dans la mesure où cela n’interfère pas dans ma relation avec eux. En effet qu’est-ce que mon voisin a besoin de le savoir si je paie correctement mes charges et que par mon comportement je ne dérange pas la copropriété ? Et mon collègue ? Si le boulot est bien fait et que je suis bien appréciée de tous, il y a des névrosés bien pires à supporter que moi, les petits chefs pour ne pas les nommer et les éternelles gémissantes ou cancanières… Les relations amicales, si c’est pour passer une bonne soirée à dire des banalités qui n’engagent pas, idem pourquoi gâcher la fête ? En effet il y a un moment pour ne pas le dire et un moment pour le dire. C’est lorsque le voisin, collègue ou relation amicale devient plus proche de toi, rentre ton intimité que lui dire est aussi une preuve de confiance et d’engagement. Mais là aussi c’est pareil pourquoi celui-là et pas un autre ? Peut-être aussi parce qu’il a senti notre différence, notre sensibilité exacerbée. Jusqu’à présent je n’ai pas regretté de l’avoir dit, jamais personne ne m’a trahie.
Pour ce qui est de la famille c’est plus délicat. Si elle est dans le déni c’est pour se protéger de sa propre souffrance de se sentir coupable de quelque chose. Je ne connais pas un parent qui y échappe, tous se disent « mais quelles erreurs ai-je bien pu commettre pour que mon enfant soit schizophrène ? ». Vrai ou pas vrai cette accusation inconsciente les ronge et au lieu d’exprimer leur souffrance et de l’affronter avec un psy, ils préfèrent pour certains ne pas l’éprouver. Ainsi c’est « je ne suis coupable de rien puisque mon enfant n’a rien ! ». Sur le plan psychique c’est dévastateur aussi bien pour celui qui est dans le déni que pour celui qui n’est pas reconnu dans sa souffrance. Et plus tu leur diras je suis mal plus ils te répondront tu n’as rien ! Ta souffrance ira crescendo avec leurs défenses, d’ailleurs le déni est une défense psychotique…Il y a un deuil à faire, c’est celui de renoncer à en parler avec eux. Mais tu sais la thérapie m’a appris ça que si mes parents sont toujours dans le déni c’est parce que quelque part ils savent très bien que je suis schizophrène, si je ne l’étais pas pourquoi s’en protègerait-il de manière si efficace pour eux ? Dis-toi bien que plus ils mettront de l’énergie à te démontrer que tu ne l’es pas, plus ils sont mal de voir à quel point tu l’es…
C’est aussi pour ça que des forums comme celui-ci existent. Pour qu’on puisse parler de cette maladie sans être victimes de préjugés et aussi qu’on puisse être enfin nous-mêmes avec les autres sans avoir à justifier pourquoi on va bien, pourquoi on va mal. Ainsi débarrassés de ce qui nous parasite en permanence dans la vie de tous les jours pour appréhender nos difficultés, nous pouvons les voir sous un éclairage nouveau. C’est en reconnaissant à l’autre une souffrance semblable à la mienne que je me répare car si je peux m’identifier à lui, il peut s’identifier à moi or c’est ça qui est impossible avec le schizophrène : on ne peut s’identifier à lui de peur d’être à son tour entraîné dans sa folie. Si nous réussissons ce tour de force c’est aussi parce qu’en nous existent des parcelles d’humanité non détruites par la maladie, parce que d’autres plus avancés sur leur chemin se sont reconstruits et que tous ensemble, pris dans une synergie de mouvement nous poussons les plus fragiles à rejoindre les plus forts.
C’est pour cela que je suis contente de ta venue sur le forum car je pense que si tu as envie de t’y investir un peu tu auras en retour ce qui te manquait pour aller mieux et tourner une page de ta vie…
Amitiés
Isabelle