Cher Daniel, Lorsque je suis en crise, j'ai besoin surtout de beaucoup de calme, j'ai besoin d'être rassurée. Il me faut surtout des paroles très simples avec le moins de mots possibles (plus les phrases sont longues, moins je parviens à les comprendre). Je crois que j'ai besoin qu'on me regarde droit dans les yeux, qu'on me tienne les épaules, avec des gestes lents et posés, et qu'on me souffle des mots rassurants, positifs: " tout va bien, je suis là". "respire, ne t'inquiète pas". J'ai vraiment besoin qu'on reconnaisse que je ne pense pas ce que je dis, qu'on n'entre pas dans mon discours en reprenant les mots de mon délire pour en faire l'antithèse. Plus la personne va rentrer dans mon discours, plus je vais m'enfoncer avec elle toujours plus bas, je vais toujours argumenter mes idées morbides. Mes proches ne reconnaissent pas ma maladie.Malgrè toutes mes crises, mes parents se sont fermés aux thérapies familiales qu'on nous a proposées.(par peur que cela s'ébruite)Ma mère dit que ce n'est pas une maladie mais que je suis une surdouée qui ne trouve pas d'interlocuteurs à sa juste valeur. Elle me dit que j'ai un potentiel énorme, et que je ne l'utilise pas, d'où un ennui général et des crises. Il n'y a plus que mon ami, très patient, qui me soutient. Je lui ai expliqué comment il devait réagir, mais il n'en est pas toujours capable tant mes discours et mes crises sont violentes. Il me dit "je ne suis pas ton psy", il a raison. Parfois il ne reconnait pas quand je suis en crise. Alors une partie de moi lui dicte ce qu'il faut faire, et il se perd, comme si je jouais aux echecs toute seule, la seule issue étant la capitulation. Je sais qu'en crise, il me faut être ramenée à la réalité par le monde sensible plus que par le monde intellectuel. Comme je le disais à Mireille, c'est ma raison qui souffre à ce moment là. Si quelqun parvient à stopper ma parole et à m'aider à me concentrer sur des odeurs, ma respiration, des sons naturels, j'obtiens de bons résultats. J'ai réussi à calmer un ami schizophrène en lui chantant une chanson. Il a arrêté de parler et m'a écouté, comme un enfant, sa respiration s'est ralentie, c'était gagné. Souvent chez moi, je fais brûler des huiles essentielles, l'odeur me ramène à mon corps, ainsi je suis moins dans mes pensées. Je ne sais pas si je suis très claire, Daniel, je fais un gros effort pour vous expliquer tout ça, j'ai un peu peur d'être un individu cobaye qui se livre à des analyses experimentales. J'ai aussi réussi à calmer des crises en touchant des arbres, je les enveloppais de mes deux bras, comme si d'eux allait couler une énérgie pure, essentielle. Souvent je me dis que je suis devenue schizophrène à cause de ma pensée, vers 20 ans, je théorisais sans arrêt sur le pourquoi du monde, je repoussais les limittes de mon cerveau: je pense à une phrase qui met bien en image ce que j'essaye de dire: " le papillon vole vers la lumière et il se brûle les ailes ". Vers 20 ans mes amis me disaient: "Eudes, débranche ton cerveau!" Je n'arrivais pas à stopper mes pensées. encore maintenant, je sais que je vais trop loin, si loin que je dérive vers la folie. Quant aux religieuses, j'aime par dessus tout leur simplicité, leur regard d'amour, le fait qu'elles ne critiquent jamais les autres, elles sont toujours positives et cela m'apaise. Je sens qu'elles ont une confiance absolue en Dieu, une vision claire du monde: je suis envahie de sérénité à leur contact, tout me semble plus évident, plus lumineux, sans aucun artifice. Je sais qu'elles ne mentent jamais, elles disent vrai.Vrai c'est le nom de Dieu pour moi.Simple est la beauté, calme est la pureté. J'ai encore une phrase de je ne sais plus qui: "le silence est ce qui ressemble le plus à Dieu". Comment vous dire, Daniel, la pensée des religieuses ne fait pas de bruit. Par contre, lorsque je suis en compagnie d'autres individus, je ressens leurs pensées, elles me gênent, leur conscience me fait mal, leurs mots me font mal, ils sont confus et je deviens confuse. J'espère ne pas être trop incohérente, cher Daniel,chère Mireille, chère Isa, je vous embrasse tous,merci de partager mes douleurs et de bien vouloir les entendre sans me juger. Bien à vous, Eudes.
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