Bonjour, Cécile,La souffrance humaine actuelle nous renvoie, je pense, à notre impuissance préhistorique devant les catastrophes susceptibles de s'abattre sur l'humanité (intempéries, animaux sauvages, maladies...). Insupportable quand on a accordé un crédit et une puissance quasi-magique aux progrès de la médecine. Ces progrès se heurtent à des choses mystérieuses, d'autant plus insupportables que nous n'avons plus les croyances qui permettaient à l'humain, quelles qu'elles soient, d'expliquer son monde.
La souffrance morale, si la chimie a permis d'en éliminer les "crêtes" les plus gênantes, n'a pas disparu pour autant. C'est d'autant plus difficile à supporter que tout ce qui touche au mental reste encore auréolé d'une aura sulfureuse. Pourquoi ? Parce que nous ne savons pas grand-chose des raisons qui pousse un être humain à souffrir moralement. Nous pouvons émettre des hypothèses, des théories, quis'infirment les unes après els autres, mais il n'existe pas pour autant UNE solution au même titre qu'UN SEUL antibiotique peut vous guérir une angine.
L'être humain qui vit derrière une enveloppe souffrante, comme vous le dites si justement, la médecine peut éventuellement l'oublier si elle se focalise uniquement sur sa technique. Imaginez-vous un instant un médecin qui n'arrive pas à vous soulager, son impuissance, sa déception ; non qu'il faille le plaindre, mais j'imagine que d'arriver aux limites de son pouvoir doit être extrêmement frustrant pour un médecin, habitué par formation à être CELUI QUI GUERIT. Dans ce cas-là, il en rejettera la faute sur le patient - trop difficile, trop âgé, trop malade, etc. - mais une remise en question personnelle pour chaque échec qu'il subit, n'est-ce pas trop lui demander ? C'est là qu'il faut se rappeler qu'un médecin est avant tout un humain. Et heureusement ! Etre soignée par un robot, merci bien !
Je suis actuellement suivie par une psychiatre depuis sept ans. Je souffre d'angoisses, très pénibles à vivre, d'autant plus que je ne supporte aucun taritement médical (réactions paradoxales). Si je ne suis pas guérie encore, je n'en veux pas à la psychiatre. Je n'en veux à personne, d'ailleurs. Parce que la thérapie m'a au moins appris à ne pas me laisser submerger par mes angoisses, à les vivre non comme une calamité devant laquelle je suis impuissante, mais comme un état particulier qui me fait ressentir les choses de la vie plus fort que d'autres. Cete hyper-réceptivité, si parfois elle me gêne au quotidien, me sert aussi à ressentir les ambiances, à "flairer, si j'ose dire, quand une ambiance est bonne pour moi ou pas. Je suis en tout cas arrivée à un stade où je parviens à me dire lors de moments d'angoisse : "Je suis angoissée, c'est une chose. Je sis vivante, c'est une autre chose, et c'est l'essentiel". Il m'arrive même maintenant de parvenir à rire après coup de mes angoisses, de les relativiser sans pour autant me traiter d'idiote. Mes angoisses sont là, certes, mais à côté, je vis, j'agis, je respire, mange et bois.
Le tragique de la souffrance morale - terme générique que j'applique à tout désordre psychologique - est qu'il s'agit de quelque chose de tellement individuel, au même titre que les empreintes digitales, qu'il n'existe pas UNE solution unique. Le plus beau est que la souffrance morale "consacre" l'individualité - à sa manière, certes.
J'espère pour vous, Cécile, que vous parviendrez à ressentir pleinement les moments de bonheur, que je vous souhaite en grand nombre. Quel que soit le degré de souffrance qui est le vôtre - que j'imagine personnellement élevé - vous existez en tant qu'être humain, vous avez le droit d'exister en tant que tel, et pas seulement en tant qu'être souffrant.
Voilà, quelques réflexions au fil du clavier, dont je n'ai pas la prétention que vous en tiriez bénéfice, mais je vous sens acessible à ce genre de réflexion.
Portez-vous bien.